Encore une défaite – Tirons les leçons cette fois !
Après trois mois de lutte, le gouvernement a imposé la retraite à 64 ans. C’est une nouvelle lourde défaite pour la classe ouvrière. La tâche posée à l’avant-garde aujourd’hui est de comprendre les raisons de la défaite et de se réarmer pour les luttes prochaines. Le gouvernement s’empresse maintenant de lancer toute une série de nouvelles attaques contre les travailleurs et les opprimés, en commençant par la loi sur l’immigration, le travail obligatoire pour les bénéficiaires du RSA et la liquidation de l’enseignement professionnel, et en promettant aux marchés financiers de réduire encore davantage les dépenses publiques sur le dos des travailleurs et des opprimés.
La bourgeoisie impérialiste française en déclin n’a en effet pas le choix pour maintenir son taux de profit : elle doit absolument aggraver encore ses attaques pour réduire le retard qu’elle prend sur ses concurrents dans la rivalité acharnée pour savoir qui va piller le monde. L’Allemagne, après la réunification capitaliste il y a trente ans, a énormément renforcé sa suprématie économique en Europe. La situation ne fait que s’aggraver encore depuis pour les impérialistes français, qui doivent trouver le moyen de faire payer à leurs propres travailleurs les sommes astronomiques qu’ils ont versées aux capitalistes pendant l’épidémie de covid. Les sanctions impérialistes liées à la guerre en Ukraine ont particulièrement affecté les monopoles français, très impliqués en Russie, et maintenant l’impérialisme américain prend des mesures protectionnistes d’envergure qui entraînent une série de délocalisations d’usines vers les États-Unis. La bourgeoisie française doit donc impérativement s’en prendre massivement aux travailleurs ici. Comme les salaires sont déjà à l’os (parmi les plus bas des pays développés pour le personnel de santé et d’éducation), elle doit s’en prendre aux salaires indirects, au premier chef les retraites.
Ce n’est pas une question économique mais une question politique de premier ordre : la bourgeoisie doit briser la résistance d’une classe ouvrière qui dans ce pays n’en finit pas de mener des batailles d’ampleur pour défendre ses acquis. Dans ce contexte, il était clair que la bourgeoisie n’allait reculer que si les travailleurs étaient organisés comme une force indépendante dans le but de faire plier la bourgeoisie. Mais c’est précisément ce que les bureaucrates syndicaux (appuyés au parlement par le bloc de la NUPES) ont empêché du début à la fin parce que leur allégeance va en dernier ressort à leur propre bourgeoisie.
Macron avait encore confirmé dans ses vœux de la Saint-Sylvestre ce que tout le monde savait depuis des années : il allait démolir les retraites. Mais les bureaucrates ont refusé de faire le moindre geste pour préparer l’inévitable confrontation. L’intersyndicale a tout d’abord lancé… une pétition le 11 janvier soulignant qu’il n’y avait « aucune urgence financière » et que le « projet gouvernemental n’a rien d’une nécessité économique », comme si, dans le cas contraire (comme l’assurait le gouvernement), les travailleurs devraient alors accepter de travailler deux ans de plus. Autrement dit, les bureaucrates acceptaient de se placer sur le terrain du capitalisme et de ses impératifs financiers. Ils donnaient ainsi leur garantie par avance à la classe capitaliste qu’ils chercheraient par tous les moyens à garder le mouvement dans un cadre acceptable pour son budget, qui ne permet pas de satisfaire les besoins des travailleurs. C’était mettre la mobilisation par avance sur les rails de la défaite.
L’intersyndicale a ensuite organisé à partir du 19 janvier une série de journées d’action routinières conçues explicitement pour ne pas arrêter l’économie. Face à l’intransigeance de Macron, les bureaucrates, soutenus par la NUPES (« on bloque tout »), ont lancé des appels à « durcir le mouvement », y compris avec des grèves reconductibles, à partir du 7 mars, selon le niveau de combativité dans chaque secteur et en fonction de la décision individuelle de chaque travailleur de suivre un appel local ou pas. De nombreux travailleurs espéraient alors qu’une grève générale allait démarrer – mais ces appels étaient au cœur d’une chorégraphie bureaucratique bien rodée depuis vingt ans et plus pour faire soupape, avec une journée d’action « carrée » et des grèves reconductibles dans certains secteurs seulement, sans affecter de façon significative l’économie dans son ensemble. La recette est éprouvée – elle a à chaque fois déjà mené… à la défaite : 2003 (loi Fillon sur les retraites), 2010 (retraites encore), 2016 (loi El Khomri), 2019-2020 (les retraites toujours). Les secteurs les plus combatifs se retrouvent à chaque fois isolés alors que presque partout ailleurs les travailleurs reprennent le travail.
Y compris dans les secteurs les plus mobilisés, comme les cheminots, il n’y a pas de piquet de grève ni aucune autre mesure pour imposer l’arrêt de la production. Souvent les bureaucrates encouragent même à briser les grèves – conseillant par exemple aux sous-traitants et intérimaires de travailler pour « se protéger ». À défaut de caisse de grève, les militants prêts à faire les plus grands sacrifices se retrouvent isolés, usés peu à peu par le manque d’argent pour se nourrir eux-mêmes et leur famille, démoralisés par l’effilochement progressif de la grève.
Après le recours du gouvernement au 49-3 le 16 mars pour imposer la réforme au parlement sans vote, l’indignation dans la classe ouvrière et dans l’immense majorité de la population était à son comble. La grève générale était à nouveau sur toutes les lèvres. Une riposte ouvrière déterminée aurait pu faire tomber Macron. Mais, encore une fois, les bureaucrates ont simplement appelé à de nouvelles journées d’action, juste un peu plus rapprochées (23 mars), qui se sont accompagnées de manifestations plus ou moins spontanées dans les rues avec quelques poubelles brûlées. Ce sont Martinez et Berger qui ont sauvé Macron.
Maintenant Macron a promulgué la loi, et l’intersyndicale a appelé… à une quatorzième journée d’action, le 6 juin, dans le cadre d’un cirque parlementaire dont tout le monde sait qu’il ne va rien donner, alors que s’éteignaient petit à petit les derniers foyers grévistes par épuisement général.
S’ils ont fait tout cela à chaque étape, ce n’est pas parce que Berger ou Martinez/Binet ne savent pas organiser une vraie grève mais parce qu’ils partent tous de la même prémisse fondamentale : c’est la bourgeoisie qui doit demeurer aux commandes et le capitalisme français doit rester compétitif. Ils pouvaient toujours menacer de bloquer le pays, Macron savait qu’ils allaient faire en sorte que cela ne se produise pas, parce que cela aurait fait tanguer la barque du capitalisme français alors qu’il est déjà soumis aux vents contraires de la concurrence internationale. C’est pourquoi toute leur stratégie, découlant de ce programme procapitaliste, ne pouvait que se limiter à chercher à convaincre le gouvernement de l’injustice de la réforme et du fait qu’elle n’était pas indispensable au capitalisme français, selon leurs propres calculs. Si l’on prend pour principe de départ le respect des « valeurs républicaines », la démocratie bourgeoise, le pouvoir des capitalistes, alors l’idée même que la classe ouvrière pourrait imposer sa volonté aux capitalistes, c’est l’anathème pour ces lieutenants ouvriers du capital.
Tout ce carcan des bureaucrates menait inexorablement à la défaite. La question qui se posait pour l’avant-garde ouvrière était donc de façon urgente, et demeure, de faire exploser cet étau des journées d’action soigneusement calibrées par les bureaucrates pour que la bourgeoisie s’en accommode, et lutter pour une direction véritablement communiste dans les syndicats. C’est pour cela que nous avons appelé dans notre déclaration du 26 mars à des « occupations partout ». Cet appel était frontalement opposé à la conception des bureaucrates qu’il ne faut pas trop déranger la bourgeoisie ; des occupations, cela pose la question de savoir à qui appartiennent les moyens de production. Il y a dans ce pays plusieurs milliers de militants d’organisations qui se déclarent pour le pouvoir aux travailleurs ; il y avait en mars, surtout après le 49-3, des centaines de milliers de travailleurs qui étaient prêts à en découdre pour de bon avec les capitalistes et qui attendaient un signal. Quelques occupations dans une ou deux usines ou postes d’aiguillage clés auraient pu faire tache d’huile comme en Mai 68 et en Juin 36, par-dessus le frein des bureaucrates.
LO, RP et la grève générale – pourquoi n’a-t-elle pas eu lieu ?
Comme les bureaucrates partent de la prémisse que le pouvoir doit rester entre les mains des capitalistes, ils vont s’opposer à toute stratégie, à toute méthode lutte de classe capable de vaincre la bourgeoisie et de remettre en question son pouvoir, et ceci vaut également pour les bureaucrates de gauche à la Olivier Mateu d’Unité-CGT. On peut faire pression sur la bureaucratie, et en fait Martinez/Berger étaient sous une grosse pression de leur base. Mais aucune pression, si grosse qu’elle soit, ne va modifier leur programme procapitaliste, et donc le fait qu’ils vont inévitablement freiner la lutte à chaque étape et tirer vers le bas tous les efforts des travailleurs.
Des organisations comme Lutte ouvrière (LO) et Révolution permanente (RP) sont capables d’émettre des critiques tout à fait correctes de la bureaucratie syndicale. LO écrit par exemple (Lutte de classe, mai-juin) :
Fort bien. Ces organisations opposent à ce réformisme la dictature du prolétariat, le communisme et autres belles paroles. Mais pendant toute cette lutte elles ont refusé de lutter pour chasser ces bureaucrates qui sont opposés au communisme et pour mettre à leur place, à la tête des syndicats, une nouvelle direction correspondant aux aspirations que professent LO ou RP !
Ils le justifient en disant que le pouvoir des travailleurs, ce sera pour dans l’avenir (indéterminé). C’est une évidence que la classe ouvrière n’est pas préparée aujourd’hui à se lancer dans une lutte directe pour la prise du pouvoir. Mais c’est uniquement en l’organisant dès aujourd’hui vers cet objectif qu’on peut faire progresser sa lutte. LO et RP, eux, s’adaptent aux bureaucrates et retombent nécessairement dans leur cadre. Depuis janvier, les éditoriaux hebdomadaires de LO se limitaient à célébrer les mobilisations appelées par l’intersyndicale et à appeler à étendre les grèves sans présenter le moindre défi aux bureaucrates.
RP a critiqué explicitement l’intersyndicale parce qu’elle envoyait des signes « contraires d’apaisement et cherche des portes de sortie de la lutte » (« Tribune » du Réseau pour la grève générale, 5 avril). Leur réponse : « Il faut maintenir la lutte, la grève, les manifestations, les actions et les blocages, en renforçant sur le terrain les comités d’action et AG Interpro et en les coordonnant au service de cette perspective. » RP cherche à combattre les bureaucrates sur la base de plus de combativité et de comités d’action et d’AG mais ce qu’elle refuse de faire, c’est d’attaquer les bureaucrates pour leur programme fondamental, leur soutien au capitalisme, et de lutter pour que les syndicats soient dirigés par des révolutionnaires. Sans cette perspective, les comités d’action de RP, leurs AG, les luttes combatives des ouvriers ne peuvent servir que de couverture au sabotage constant des bureaucrates
Lutte ouvrière, de son côté, nous a sorti toutes sortes d’excuses pour s’opposer à nos appels, y compris même à celui « Macron dehors ! Travailleurs au pouvoir ! ». Nous avons entendu pêle-mêle que la classe ouvrière serait trop faible de nos jours pour faire une grève générale, que le niveau de conscience est trop faible pour qu’on puisse avancer un programme révolutionnaire pour aujourd’hui, etc.
Tous ces arguments de LO sont bidon. Si les taux de grévistes ont peu à peu faibli au fur et à mesure des journées d’action, ce n’est pas simplement parce que la conscience des travailleurs était « trop faible », ni non plus seulement parce qu’ils tiraient la langue financièrement, c’est parce qu’ils étaient de plus en plus sceptiques sur la manière dont les bureaucrates menaient la lutte avec leurs ineptes journées d’action. Ils auraient été prêts à en faire bien davantage s’ils avaient eu une direction décidée à faire plier la bourgeoisie par tous les moyens et quoi qu’il en coûte à celle-ci. Trotsky écrivait en 1935, à la veille de la grève générale de Juin 36 (Où va la France ?) :
Cette polémique de 1935 s’applique entièrement aujourd’hui à des gens comme LO ou RP qui pensent que c’est à travers des mots d’ordre strictement économiques contre la réforme des retraites et pour l’augmentation des salaires que l’on doit d’abord, dans un premier temps, « massifier » le mouvement.
La conclusion de LO, c’est que « la tâche actuelle des militants révolutionnaires est de politiser le maximum de travailleurs, […] multiplier les discussions, sous toutes les formes, sur tous les sujets qui concernent le sort et l’avenir de notre classe » (Lutte de classe, mars). Autrement dit : ne rien faire contre le sabotage des bureaucrates. Effectivement, ils sont passés complètement à côté de la lutte pour les retraites. Les militants de LO se sont comportés comme de loyaux syndicalistes de base, ce qu’ils ont justifié en long et en large à la fête de LO contre nos interventions en argumentant qu’on ne pouvait mener la lutte que dans le cadre de ce qui était possible maintenant, étant donné la conscience actuelle des travailleurs (ce qui était défini par les bureaucrates), et qu’un beau jour la conscience des travailleurs aurait fait un bond suffisant pour qu’ils se débarrassent eux-mêmes du carcan des bureaucrates.
Les militants de LO devraient songer même à leur propre histoire. En 1947, quelques militants seulement de l’organisation dont est issue Lutte ouvrière avaient été à l’initiative de la grande grève à Renault-Billancourt qui avait précipité la fin du front populaire d’après-guerre. L’obstacle apparemment omnipotent qu’était en 1947 l’appareil bureaucratique du PCF a disparu, mais aujourd’hui LO déclare qu’elle est « trop faible » et que les travailleurs sont trop arriérés pour qu’elle fasse quoi que ce soit d’autre que prêcher le communisme de l’avenir et, en attendant, construire les journées d’action de l’intersyndicale.
Le RGG et la chorégraphie bureaucratique des journées d’action
La tâche des révolutionnaires dans toute cette bataille était d’intervenir pour offrir une voie de lutte en opposition directe aux bureaucraties syndicales et les démasquer comme l’obstacle principal dont il faut se débarrasser dès maintenant pour faire le moindre pas en avant. Contrairement au suivisme des bureaucrates par LO, l’activisme de RP, avec son Réseau pour la grève générale (RGG), peut donner l’impression qu’ils ont, eux, sérieusement tenté de briser l’étau des bureaucrates. RP a pu effectivement mobiliser de nombreux militants dévoués et prêts à prendre de nombreux coups face aux flics devant l’incinérateur de la TIRU à Ivry ou la raffinerie de Gonfreville.
Cependant, sa stratégie consistait non pas à s’opposer à la bureaucratie, mais à contourner l’obstacle en empruntant la voie que les bureaucrates leur traçaient d’avance. Elle a mobilisé les militants de son Réseau pour la grève générale comme s’ils étaient une simple force d’appoint à des actions contrôlées de bout en bout par les bureaucrates. Comme les actions de RP évitaient le combat politique contre l’aile gauche plus combative de la bureaucratie, elles sont tombées dans le panneau que celle-ci lui tendait pour maintenir l’isolement des secteurs les plus en pointe.
En dépit de toute sa radicalité dans les paroles et la gestuelle, toute l’action de RP s’est jouée à la limite du rituel institutionnalisé des grands conflits sociaux en France. Les grèves reconductibles dans quelques secteurs isolés où la pression de la base est la plus forte, souvent dans les vieux bastions syndicaux publics ou semi-publics (EDF, SNCF, RATP…), restent en réalité enfermées par les bureaucrates dans ce rituel, servant en quelque sorte de bac à sable pour l’extrême gauche. Ces secteurs figurent parmi les principaux perdants des réformes de ces dernières années (destruction des régimes spéciaux en plus de l’allongement de l’âge de départ à la retraite), car c’est aussi là où les acquis étaient les plus significatifs. Mais au fil des défaites causées par les tactiques ineptes des bureaucrates, l’impact de ces grèves faiblit peu à peu et alimente la démoralisation.
Les plus militants subissent les plus lourdes pertes de salaire et sont désignés à la vindicte des patrons. En dernier ressort, la grève devient une décision personnelle mesurant le degré d’héroïsme et de sacrifice de chaque militant individuel, au lieu d’une action collective des travailleurs pour faire plier les patrons par la force. C’est pour cela que ce mode d’action est toléré par les capitalistes qui y voient un moyen peu coûteux pour eux d’épuiser les secteurs les plus avancés, et de cibler ensuite les militants individuels qui se sont le plus mis en avant.
La bourgeoisie, sauf à exterminer toute la couche de militants combatifs qui sont nombreux dans ces secteurs, doit s’en accommoder et leur laisse ce bac à sable dont les limites sont bien tracées, notamment par les réquisitions lorsqu’elle décide que le pays risquerait d’être bloqué. Toute la question pour la bourgeoisie est de cantonner dans ce cadre bien délimité les radicaux de façon que la mobilisation ne se transforme pas en une grève générale, et RP et son Réseau pour la grève générale ont lamentablement échoué à sortir de ce cadre.
Par exemple, les cars mobilisés par RP depuis Paris notamment pour la raffinerie de Gonfreville, répondant à un appel initial de la direction de la CGT, sont venus alimenter une manifestation de soutien au droit de grève, l’après-midi du 24 mars. Mais les bureaucrates avaient laissé le matin même les travailleurs réquisitionnés ouvrir les vannes des réservoirs pour réalimenter l’Île-de-France en carburant et casser la grève. RP a glorifié les chefs de la CGT sur la raffinerie au lieu de dénoncer cette traîtrise, juste au moment où la grève des raffineurs allait mettre en panne des secteurs clés de l’économie et donc poser la question de l’extension de la grève, notamment sur l’aéroport de Roissy. La production nationale dans le raffinage a augmenté au premier trimestre par rapport au trimestre précédent, marqué par la grève d’octobre ! Les bureaucrates avaient alors déjà capitulé devant les réquisitions, ordonnées par le gouvernement dès que le pays avait été menacé d’une pénurie sérieuse.
De même, les bureaucrates à la TIRU d’Ivry ont pu utiliser les mobilisations de soutien devant l’usine comme un simple moyen de pression supplémentaire dans le cadre d’un accord tacite avec la mairie PS-PC de Paris et le gouvernement pour ne jamais dépasser, au nom de la « prévention des épidémies », un ordre de grandeur de 10 000 tonnes d’ordures non collectées – en fait, le seuil tolérable pour la bourgeoisie. Il fallait renforcer les piquets, mais cela ne pouvait porter ses fruits que dans la mesure où cela reposait sur une stratégie pour remplacer la bureaucratie traîtresse par une direction communiste à la tête des syndicats, sur la base d’un programme pour mener la confrontation avec la bourgeoisie jusqu’à la victoire.
Au bout du compte, ces mobilisations ont permis aux bureaucrates de se draper d’un voile de radicalité, alors même qu’ils maintenaient la mobilisation dans le cadre défini par la bourgeoisie. Les travailleurs qui poursuivaient la grève dans la raffinerie ou chez les éboueurs perdaient encore de nouvelles journées de salaire sans que leur mouvement ne puisse sortir de son lit, ces secteurs combatifs restant isolés de la masse des travailleurs au lieu de devenir l’avant-garde d’un mouvement d’occupations qui aurait pu prendre la bourgeoisie à la gorge.
Le problème n’est pas en soi que RP ait construit un réseau pour la grève générale. Un front uni, réunissant les ouvriers les plus déterminés dans l’objectif de pousser en avant, par l’action, la grève générale, serait salutaire. Mais le RGG, ce n’était pas cela. C’était un assemblage bigarré de militants syndicaux, d’écolos, d’intellos, de féministes et d’artistes, en fait surtout des petits-bourgeois, unis sur la base d’un soutien platonique à l’« idée » d’une grève générale.
Cette base sociale hétéroclite du RGG est un symptôme de son programme politique. Si le RGG avait été bâti sur une stratégie révolutionnaire cohérente opposée à la bureaucratie syndicale et aux mélenchonistes, cela aurait fait fuir immédiatement les trois quarts des féministes, mélenchonistes (fort nombreux), philosophes ronflants et autres écologistes amoureux des forêts et des nappes phréatiques. Mais il aurait sans doute permis de mobiliser des forces vives, prêtes à mener une lutte jusqu’au bout pour écraser la bourgeoisie, parmi les couches les plus opprimées des travailleurs, des femmes et des minorités, notamment dans la jeunesse et dans les quartiers du 9-3.
Combattre l’influence du mélenchonisme !
Nous mettions en garde dans notre déclaration du 22 mars : « C’est précisément parce que la lutte des travailleurs est attelée au programme mélenchoniste qu’elle est paralysée en ce moment. » Effectivement, en dépit du manque d’affection des bureaucrates syndicaux pour la personne de Jean-Luc Mélenchon, la France insoumise, ainsi que la NUPES qu’elle domine, ont joué un rôle central, et parfaitement complémentaire au programme procapitaliste des directions syndicales, pour saboter la lutte, la limiter à ce qui est acceptable pour les capitalistes, la canaliser vers des issues parlementaires illusoires, et ainsi la conduire à la défaite.
Étant donné le discrédit des sociaux-démocrates du PCF et du PS, c’est aujourd’hui surtout grâce à Mélenchon et à la NUPES que la bourgeoisie maintient les illusions parmi la classe ouvrière et un secteur de la petite bourgeoisie appauvrie dans la possibilité d’une amélioration graduelle et pacifique de leur situation. Sur la base de leurs promesses de la retraite à 60 ans, de taxer les riches, geler les loyers et même indexer les salaires, les mélenchonistes sont largement perçus, même si c’est sans trop d’enthousiasme, comme un moindre mal par rapport à Macron et Le Pen.
En fait, réaliser une seule de ces promesses de LFI exige de déchaîner le pouvoir de la classe ouvrière comme une force indépendante pour vaincre la bourgeoisie, ce qui est l’anathème pour le programme de Mélenchon basé sur les « valeurs républicaines », à commencer par l’inviolabilité de la propriété privée et le pouvoir des capitalistes. Mélenchon cherche à faire rebondir l’impérialisme français moribond, à augmenter sa compétitivité face à ses concurrents. Et cela ne peut être accompli que sur le dos des travailleurs.
En effet, si la bataille pour les retraites a montré une chose, c’est que l’impérialisme français en déclin doit s’attaquer à tous les acquis de la classe ouvrière. Il ne peut pas y avoir d’amélioration graduelle et constante du niveau de vie des travailleurs dans le cadre du capitalisme. Comment pourrait-on obliger la bourgeoisie à partager la richesse, imposer le gel de loyers déjà exorbitants (sans parler de commencer à résoudre l’énorme problème du logement) ou augmenter significativement le pouvoir d’achat des travailleurs et des retraités sans s’en prendre aux intérêts les plus fondamentaux des capitalistes ?
Tout le blabla de Mélenchon pour « bloquer le pays », à côté de Martinez qui appelait à « durcir le mouvement », était inscrit dans cette chorégraphie bien huilée que nous venons d’expliquer. Parallèlement, toutes les actions mises en avant par la NUPES pendant la bataille pour les retraites, souvent concoctées avec les bureaucrates – que ce soit le recours au Conseil constitutionnel archiréactionnaire, la proposition d’un « Référendum d’initiative partagée » ou la dissolution de l’Assemblée pour avoir des nouvelles élections – elles avaient toutes pour but de dévier la lutte de la seule voie capable de mener à la victoire, la canalisant vers des issues parfaitement acceptables pour les capitalistes, donc parfaitement impuissantes.
La réalité c’est que le mélenchonisme, en plus de dix ans d’existence sous différentes dénominations, n’a accompli et ne peut accomplir aucune réforme sociale sérieuse en faveur des travailleurs pour la simple raison que la grande bourgeoisie, qui détient tous les véritables leviers du pouvoir (les banques et la Bourse, la grande presse, les hauts fonctionnaires, la diplomatie, l’état-major), ne le leur permettra pas. Et cela ne peut que renforcer la réaction : c’est Marine Le Pen qui est sortie renforcée de la défaite des travailleurs dans la bataille pour les retraites, et c’est dans ce contexte que quelques groupuscules fascistes, pour le moment marginaux, ont levé la tête récemment. C’est pour cela que le mélenchonisme n’est pas « un moindre mal », un simple soutien ni un pas dans « la bonne direction ». Tant que son programme reste influent sur le mouvement ouvrier, il constitue l’assurance la plus certaine de nouvelles défaites.
LO, RP : Contre Mélenchon, pour l’unité avec
les mélenchonistes
Si la plupart des organisations qui se réclament du marxisme soutiennent ouvertement (même si c’est de façon critique) la NUPES, Lutte ouvrière et Révolution permanente s’y opposent dans leurs articles. Mais elles refusent de combattre l’influence des mélenchonistes dans le mouvement ouvrier. Ainsi, par exemple, lorsque Clémentine Autain a pris la parole lors d’une AG à la gare de Lyon à Paris le 28 mars, aucun des militants de LO et RP présent n’avait un seul mot à dire contre son programme.
Pire encore, le dirigeant de LO Jean-Pierre Mercier (récemment exclu de la CGT chez Stellantis Poissy – voir notre encadré) a révélé lors de la fête de Pentecôte de son organisation que les militants de LO restés dans la CGT soutiennent comme délégué syndical central, en remplacement de Mercier, un certain Cédric Brun, dirigeant de premier plan de… la France insoumise mélenchoniste dans le département du Nord. Loin de combattre le mélenchonisme dans le mouvement ouvrier, LO lutte ainsi pour son implantation dans la bureaucratie syndicale !
Quant à RP, pour ne pas faire fuir les trois quarts des adhérents du Réseau pour la grève générale, elle devait inévitablement taire les critiques de Mélenchon dans les meetings du RGG. Voilà le centrisme en action : malgré leur opposition à Mélenchon, LO et RP refusent de rompre l’unité avec les mélenchonistes, ce qui entraîne nécessairement de s’adapter politiquement à eux et de capituler à la fausse notion que nous pouvons lutter « tous ensemble » contre Macron.
Le problème de fond, c’est que ces organisations restent dans le cadre des appels à plus de combativité, plus de grèves reconductibles, etc., mais sans se battre d’ores et déjà pour une direction révolutionnaire. Du moment que Mélenchon se dit pour « durcir » la grève, pour « tout bloquer », il devient impossible de lutter contre son influence dans le cadre de la lutte économique. Si ce qu’on oppose aux manœuvres parlementaires de LFI n’est que la lutte ouvrière combative, comme le font LO et RP, on ne peut pas expliquer comment Mélenchon est un obstacle et non un « moindre mal », y compris dans les luttes partielles de la classe ouvrière.
Pour cela, il faut se battre dès aujourd’hui pour unifier la classe ouvrière comme une force de frappe contre la classe capitaliste dans son ensemble sur la base de la perspective du pouvoir aux travailleurs. Or, c’est cette perspective que RP refuse. De façon parallèle au programme mélenchoniste pour la VIe République, RP avance que ce qui est à l’ordre du jour, c’est une « réponse démocratique radicale par en bas ». Ils expliquent :
Indéniablement, les travailleurs se situent toujours sur le terrain de la démocratie bourgeoise. La question est : comment orienter la colère et l’indignation massives provoquées par la brutalité policière et la parodie macronienne de la démocratie vers une perspective prolétarienne révolutionnaire ? Pour cela, il faut évidemment lutter contre les mélenchonistes. Mais RP fait l’inverse : elle utilise un constat correct pour justifier son adaptation politique à Mélenchon, en proposant une version radicale de son programme démocratique bourgeois pour une VIe République, et donc elle contribue à maintenir les travailleurs dans le cadre de la démocratie bourgeoise.
Nous sommes d’accord qu’il faut détruire toutes les institutions réactionnaires de l’impérialisme français. Mais la question s’impose : est-ce que la bourgeoisie l’acceptera de bon gré ? Évidemment que non ! Si la défense de la retraite à 62 ans a déjà posé la nécessité d’écraser la bourgeoisie, se débarrasser du Sénat et de la présidence de la République elle-même requiert rien moins qu’un véritable soulèvement de la classe ouvrière à la tête des masses petites-bourgeoises appauvries. La classe ouvrière ne peut pas se restreindre à un programme démocratique. Un tel soulèvement ne peut se terminer que de deux façons : soit le prolétariat prend le pouvoir, soit la bourgeoisie écrase le prolétariat. Cela pose la tâche, encore une fois, d’organiser le prolétariat comme une force indépendante. Pour nous, les mots d’ordre démocratiques doivent servir de pont vers le pouvoir des travailleurs – qui seul peut satisfaire leurs aspirations démocratiques –, et non un nœud coulant démocratique passé autour du cou du prolétariat par les agents de la bourgeoisie tels Mélenchon. Pour les mêmes raisons que nous venons d’exposer ci-dessus, Mélenchon est en fait le principal obstacle, avec les bureaucrates, y compris à la réalisation de ces tâches démocratiques.
Et c’est précisément cela que RP ne dit pas. Malgré ses critiques de Mélenchon, RP refuse d’en tirer les conclusions nécessaires et poser la tâche centrale à présent : briser les illusions en Mélenchon. Parce que pour les théoriciens de RP, ces mots d’ordre démocratiques ne constituent pas un coin à enfoncer entre Mélenchon et les travailleurs mais, au contraire, ils sont un moyen de s’adapter à lui.
Que faire après la défaite ?
La défaite sur les retraites est maintenant consommée, mais rien n’est réglé pour les travailleurs (ni pour la bourgeoisie malgré sa victoire) et la lutte pourrait reprendre à tout instant à grande échelle sur une autre question. C’est pourquoi la tâche centrale est de tirer le bilan pour préparer la prochaine bataille et pouvoir la tourner en contre-offensive contre la bourgeoisie. Ce qui va faire avancer les choses c’est que l’avant-garde comprenne comment elle n’a pas réussi à lutter efficacement contre les bureaucraties syndicales et qu’elle doit totalement changer de stratégie.
Ce qui est à l’ordre du jour aujourd’hui pour forger une opposition communiste à la bureaucratie syndicale, c’est d’opposer à la stratégie perdante de celle-ci un programme pour redonner de la force aux syndicats et préparer une nouvelle offensive victorieuse contre le gouvernement. Voici la base que nous proposons aux militants qui cherchent à construire des noyaux d’opposition aux bureaucrates dans les syndicats :
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Le soutien des bureaucrates au capitalisme a conduit à la défaite : il faut donc construire des noyaux communistes pour engager la lutte pour les remplacer par une nouvelle direction.
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Rien n’est résolu, pour la classe ouvrière, et les attaques de la bourgeoisie redoublent. La défaite ne doit pas causer la démoralisation si on en comprend les causes et si on les combat en luttant pour une nouvelle direction.
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Pour renforcer la puissance des syndicats avant le début du prochain round, il faut lutter pour unifier les syndicats dans un seul syndicat par branche d’activité. La division en plusieurs syndicats sur un même lieu de travail ou à l’intérieur d’une même branche est due uniquement à des rivalités entre cliques de bureaucrates qui partent en grève à des jours différents et se cassent mutuellement les grèves. Il faut que cela cesse parce que cela n’aide que les patrons ! Ces derniers font bloc entre eux, les travailleurs doivent faire de même.
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Faire une campagne de syndicalisation massive, y compris en direction des précaires et sous-traitants avec la revendication de l’embauche de tous au plein statut. Il faut transformer les syndicats en organes des masses exploitées. Pour les bureaucrates au contraire, les syndicats ne sont que les organes de la petite couche supérieure de la classe ouvrière.
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Virer des syndicats les chefs, les flics et les matons. C’est la base pour lutter pour l’indépendance des syndicats face aux capitalistes et leur État. En « syndiquant » les flics et les matons, les bureaucrates organisent une cinquième colonne d’agents provocateurs au sein du mouvement ouvrier. Les fédérations réputées à l’aile gauche de la CGT ont ainsi fait campagne pour faire élire à la tête de la confédération, lors de son congrès de mars, une ex-surveillante de prison, Céline Verzeletti.
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Collecter des fonds de grève dès maintenant pour ne pas se faire à nouveau asphyxier financièrement. La caisse de grève doit être l’objectif central des cotisations syndicales. Elle doit servir à payer les travailleurs qui tiennent les piquets de grève et les occupations, pas ceux qui restent chez eux. Les bureaucrates de gauche type Olivier Mateu s’y opposent : « ça revient à acter une grève par délégation » selon lui. LO a argumenté de même à sa fête de Pentecôte en traitant les appels de RP à constituer des caisses de grève comme des trucs artificiels de petits-bourgeois pour s’attirer les bonnes grâces des travailleurs.
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Combattre les mélenchonistes et leurs suivistes comme un obstacle à l’indépendance de classe du prolétariat, premier pas pour regrouper les forces derrière une nouvelle direction communiste révolutionnaire, dans la perspective d’un gouvernement ouvrier.