L’introduction au document publié ci-après est reprise de Workers Hammer n° 247 (hiver 2021-2022), le journal de la Spartacist League/Britain. Elle a été adaptée pour publication dans Spartacist.

Nous reproduisons ci-dessous les principales parties du document adopté à l’unanimité lors de la XXVe Conférence nationale de la Spartacist League/Britain (SL/B) fin 2021. Cette conférence historique a marqué un tournant politique fondamental : elle a avancé un programme révolutionnaire pour la Grande-Bretagne dans la pandémie de Covid-19 et répudié la trajectoire réformiste que notre organisation avait suivie pendant des années sous sa direction précédente. Le titre du document, « En défense du programme révolutionnaire (II) », fait directement référence au document de fondation de la SL/B du même nom (publié dans Spartacist Britain n° 1, avril 1978). Cela incarne notre engagement à nous réapproprier le programme original de la section et à défendre la continuité révolutionnaire de la Ligue communiste internationale (quatrième-internationaliste).

En publiant en avril 2021 la déclaration du CEI « À bas les confinements ! » (reproduite dans ce numéro en page 5), nous avons été le seul groupe de gauche à mettre en avant une perspective de lutte de classe dans la pandémie, en opposition aux confinements, à l’unité nationale et à l’assaut de la classe capitaliste contre le prolétariat international. Avant la publication de cette déclaration, la LCI avait capitulé devant l’unité nationale en soutenant les confinements. Dans la SL/B, cette capitulation avait été préparée par des années d’opportunisme et par le rejet des principes fondamentaux du programme révolutionnaire de la section. Nous avions, entre autres, renié la lutte pour un parti d’avant-garde léniniste en capitulant devant Jeremy Corbyn pendant toute la période où il a dirigé le Parti travailliste, et nous avions adopté le programme travailliste du socialisme parlementaire et de l’impérialisme « de la petite Angleterre » (« little England »). Le document de la conférence est le produit d’une lutte durement menée contre le précédent Comité central de la SL/B et constitue une rupture décisive avec la trajectoire suivie jusque-là par la section. Il avance les éléments indispensables pour forger un parti révolutionnaire en Grande-Bretagne contre la politique du travaillisme dans laquelle baigne toute l’extrême gauche britannique. Ce document a servi de base à l’élection d’un nouveau Comité central composé d’une nouvelle couche de cadres qui ont mené cette lutte interne et qui se sont engagés à forger un noyau trotskyste dans les îles Britanniques.

Ce document est dédié à notre camarade George Crawford, décédé peu avant la conférence. Son dévouement à la cause du communisme tout au long de sa vie est un exemple et une inspiration.

II. Pour un programme révolutionnaire dans la pandémie !

La pandémie de Covid-19 a déclenché une crise sanitaire, économique et sociale dans le monde entier. En Grande-Bretagne comme ailleurs, les dix-huit derniers mois ont été désastreux pour la classe ouvrière et les opprimés : plus de 150 000 morts de la Covid, confinements brutaux, répression, licenciements massifs, chômage partiel, augmentation des cadences, fermeture des écoles. Durant toute la crise, la direction du mouvement ouvrier a trahi le prolétariat en l’enchaînant à la bourgeoisie et en collaborant à son offensive dévastatrice. Le Parti travailliste, de l’aile corbyniste à la direction de Starmer, ainsi que les directions syndicales et la gauche réformiste, ont tous soutenu les confinements et se sont tous ralliés derrière le gouvernement conservateur de Boris Johnson en prêchant l’unité nationale et la collaboration de classes. Le Parti travailliste a géré les confinements dans des villes partout en Grande-Bretagne et il porte la responsabilité directe des souffrances et de la misère infligées aux travailleurs.

La gauche pseudo-marxiste britannique (Socialist Workers Party, Socialist Party, Communist Party of Britain, Socialist Appeal, Revolutionary Communist Group, etc.) a non seulement soutenu les confinements, elle est partie en croisade pour des confinements plus stricts et plus longs, sur le modèle de la politique australienne de zéro Covid. Toute prétention qu’auraient ces réformistes à lutter pour quoi que ce soit dans l’intérêt de la classe ouvrière durant la pandémie n’est qu’un mensonge puisqu’ils soutiennent les confinements.

Cette conférence répudie la motion adoptée par le Comité central de la SL/B en juin 2020, qui capitulait devant l’unité nationale du gouvernement en soutenant les confinements. Cette position reposait sur l’argument que le confinement, « en l’absence de mesures de santé publique plus significatives, peut avoir une certaine efficacité par rapport à l’objectif extrêmement minimal de freiner la propagation de la Covid-19 ». Cela signifie accepter le chantage moral de la bourgeoisie qui a décrété que la seule manière d’assurer la santé publique, c’est de soutenir les mesures anti-ouvrières du gouvernement. Cela alimentait aussi l’illusion que l’État bourgeois est un instrument servant à protéger la population, et non un appareil de violence servant à asservir le prolétariat.

Le seul moyen dont dispose la classe ouvrière pour véritablement protéger sa santé et combattre les causes sociales de la crise, c’est la lutte de classe contre les patrons et l’État. Les confinements sont des mesures de santé publique réactionnaires qui entravent cette lutte à tous les niveaux. Non seulement ils entraînent des conséquences sociales dévastatrices, mais ils laissent la classe ouvrière désarmée et enchaînée à la bourgeoisie.

Nous nous opposons aux confinements sur la base d’un programme ouvrier révolutionnaire. S’opposer aux confinements sur toute autre base, que ce soit en se basant sur la science, les libertés, les théories du complot ou le syndicalisme, ne fait que promouvoir des programmes bourgeois alternatifs pour gérer la pandémie. Les révolutionnaires ne cherchent pas à réconcilier les antagonismes de classe mais à utiliser la crise afin de faire avancer la lutte pour renverser la bourgeoisie. Si la pandémie montre clairement une chose, c’est que le système capitaliste est complètement réactionnaire et qu’il ne peut même pas répondre aux besoins les plus minimaux des masses. C’est maintenant que la classe ouvrière doit lutter pour ses intérêts, en commençant par ses besoins élémentaires. Mais pour gagner, il faut lier cette lutte à celle pour la révolution socialiste internationale.

La direction du mouvement ouvrier britannique a été le porte-drapeau de la campagne d’unité nationale de la classe capitaliste, répétant ses slogans : « Restez chez vous ! Protégez le NHS ! Sauvez des vies ! » Tout le monde sait que les conservateurs ne veulent pas sauver le NHS [Système national de santé] et n’ont aucun scrupule à « laisser s’empiler les cadavres ». C’est seulement grâce à la complicité des dirigeants traîtres du mouvement ouvrier que la bourgeoisie a pu faire avaler aux travailleurs le mensonge que dans la pandémie il existe un intérêt commun au-dessus de toutes les classes.

Dans cette crise comme en toute autre circonstance, les intérêts de la classe bourgeoise et ceux du prolétariat sont inconciliables. Il est évidemment dans l’intérêt des travailleurs de se protéger, eux et leurs familles, d’une maladie dangereuse, mais on ne peut obtenir de conditions de vie et de travail plus sûres qu’en luttant contre les patrons et le gouvernement, pas en travaillant avec eux. On ne peut pas « protéger le NHS » en s’appuyant sur ceux qui le ravagent : les conservateurs, le Parti travailliste et les parasites capitalistes.

Derrière ses nobles slogans, la bourgeoisie défend ses propres intérêts de classe. Elle veut limiter la propagation du virus parce que c’est mauvais pour les affaires. Elle exige de rester chez soi pour sauver le NHS parce que c’est là un moyen peu coûteux d’éviter l’effondrement total du système de santé décrépit. La classe ouvrière a tout intérêt à défendre le NHS et à lutter pour avoir un système de santé de la meilleure qualité, tout particulièrement pendant une pandémie. Mais pour défendre ses intérêts, elle doit s’affranchir du chantage idéologique de la bourgeoisie, qui présente toutes les luttes contre sa domination comme un grave danger pour la santé publique.

Du fait de la servilité totale du Parti travailliste et de la bureaucratie syndicale pendant la pandémie, la colère contre le gouvernement, et en particulier contre ses confinements brutaux, n’a pu s’exprimer que par des voies non prolétariennes, informes et hétérogènes. Au printemps et en été 2021, il y a eu à Londres des manifestations de masse contre les confinements, avec des slogans pour la « démocratie », les « droits individuels » et la « liberté médicale ». Le gouvernement, les médias et le marais travailliste ont condamné d’une seule voix ces manifestations en prétendant que tous ceux qui s’opposent aux mesures de la bourgeoisie sont forcément réactionnaires.

Bien que le programme de ces mouvements soit entièrement bourgeois, ils sont alimentés par une colère légitime contre le gouvernement. Nous devons condamner le déluge de propagande progouvernementale contre ces manifestations, ainsi que la répression contre elles. Nous intervenons dans ce genre de mouvement pour gagner au programme du communisme ceux qui s’opposent aux mesures dévastatrices du gouvernement, en les faisant rompre avec la politique libérale, conspirationniste et parfois réactionnaire de ces mouvements.

Étant donné l’absence pendant la pandémie d’un pôle organisant la colère sociale selon une ligne de classe, la vaccination et l’obligation vaccinale sont devenues des questions sociales majeures. Dans ce débat, il y a d’un côté ceux qui soutiennent tout ce que fait le gouvernement du moment qu’il le fait sous prétexte d’augmenter le taux de vaccination ; et de l’autre ceux qui sont contre toute remise en cause des libertés, contre toute forme de vaccination obligatoire et parfois contre les vaccins eux-mêmes. En tant que communistes, nous rejetons les deux côtés. Nous cherchons à couper court à ce faux débat encouragé par le gouvernement, en posant les questions suivant un axe de classe. Le principe qui nous guide, ce sont les intérêts de la classe ouvrière.

Il est dans l’intérêt de la classe ouvrière que tout le monde sur terre soit vacciné contre la Covid-19. Nous sommes pour la vaccination obligatoire, c’est-à-dire obliger les gens à se faire piquer le bras. Refuser de se faire vacciner et transmettre le virus n’est pas un droit démocratique. Mais nous nous opposons à ce que la vaccination soit imposée par des mesures qui attaquent la classe ouvrière au nom de la vaccination. Nous sommes opposés à ce que le gouvernement licencie des employés du NHS, ou tout autre travailleur, parce qu’ils ne sont pas vaccinés. Les licenciements de masse constituent une attaque contre la classe ouvrière et les syndicats ; nous sommes contre, quelle qu’en soit la raison. Nous sommes aussi contre les passeports vaccinaux, qui permettraient de suivre tous les déplacements de la population et transformeraient tout employé de bar ou commerçant en auxiliaire des flics.

Trotskystes contre réformistes

La pandémie a démontré deux vérités fondamentales : 1) que la bourgeoisie est totalement réactionnaire, qu’elle ne peut même pas donner satisfaction aux besoins les plus élémentaires de la classe ouvrière, et qu’elle doit être renversée et remplacée par le pouvoir ouvrier ; 2) que la direction actuelle de la classe ouvrière britannique, dans les syndicats et dans le Parti travailliste, est totalement prostrée devant la bourgeoisie et le gouvernement. La tâche des révolutionnaires est de montrer clairement aux ouvriers conscients et aux jeunes à la recherche d’une alternative que tous les groupes britanniques qui se proclament socialistes ont fondamentalement la même politique que les dirigeants ouvriers traîtres, et qu’ils continuent à trahir la classe ouvrière. Pour le démontrer, nous mettons en avant un programme opposé point par point à celui de la gauche réformiste sur quelques-unes des questions les plus urgentes :

  1. Le système de santé est dans un état encore plus pitoyable aujourd’hui qu’avant la pandémie, la crise du logement est toujours aussi grave et le système éducatif est en ruines. Il faut mobiliser le mouvement ouvrier afin de lutter pour un programme massif de travaux publics pour construire de nouvelles écoles, des logements peu coûteux et de qualité et des infrastructures sanitaires ! Pour financer cela tout de suite et pour trouver des terrains et des bâtiments pour les écoles, les services de santé et le logement, il faut réquisitionner les biens de la monarchie et de l’Église ! Pour financer le NHS, pour réindustrialiser la Grande-Bretagne et instaurer une économie planifiée, il faut exproprier les banquiers et les industriels ! Ces revendications sont totalement opposées aux fantaisies de la gauche réformiste, pour qui les besoins des travailleurs seront satisfaits si l’on élit au Parlement un gouvernement travailliste de gauche qui « fera payer les riches » et nationalisera les secteurs stratégiques de l’économie.

    On ne peut pas chasser du pouvoir les patrons par des élections, ni les déposséder petit à petit, et on ne peut pas non plus abolir la monarchie en votant une loi au Parlement de Sa Majesté. Quand le Parti travailliste gouverne l’État capitaliste, c’est un gouvernement bourgeois. La classe ouvrière a besoin d’un gouvernement ouvrier, c’est-à-dire de la dictature du prolétariat, pour exproprier la bourgeoisie et briser la résistance des exploiteurs, selon le modèle de la révolution d’Octobre 1917 en Russie.

  2. La bourgeoisie est en train de mener des attaques massives contre les conditions de travail : les conservateurs diminuent les salaires des travailleurs du NHS, il y a une inflation galopante et les salaires sont misérables, et des millions de travailleurs ont seulement un emploi à temps partiel ou précaire. Les syndicats doivent de toute urgence syndiquer les non-syndiqués et lutter pour une augmentation générale et majeure des salaires, indexée sur l’inflation ! Il faut en finir avec les contrats de travail « zéro heure » ! Contre l’allongement du temps de travail et le chômage, les syndicats doivent lutter pour une semaine de 30 heures payées 40, pour répartir le travail entre toutes les mains. Pour le contrôle syndical sur l’embauche ! Contre les divisions raciales attisées par les patrons, les syndicats doivent lutter pour les pleins droits de citoyenneté pour tous les immigrés afin d’unir la classe ouvrière dans la lutte contre le système capitaliste.

    Les communistes se battent pour construire des fractions dans les syndicats basées sur l’intégralité du programme de transition, faisant le lien entre les revendications économiques les plus immédiates et la nécessité d’un gouvernement ouvrier. C’est tout le contraire de ce que font les pseudo-socialistes britanniques, dont le programme dans les syndicats repose sur le soutien aux bureaucrates soi-disant de gauche comme Sharon Graham [de Unite] contre les bureaucrates de droite, et sur un programme minimum de réformes et de combativité syndicale.

    Toutes les ailes de la bureaucratie syndicale défendent un programme de collaboration de classes : elles cherchent à renégocier les termes de l’exploitation de la classe ouvrière tout en préservant le système capitaliste. Aux réformistes dont toute la perspective se résume à faire pression sur la bureaucratie syndicale procapitaliste actuelle, nous opposons la nécessité de construire une nouvelle direction révolutionnaire de la classe ouvrière. Nous disons : Chassez les bureaucrates syndicaux, de gauche et de droite ! Pour une direction lutte de classe des syndicats !

  3. Pendant la pandémie, tous les pseudo-révolutionnaires – faisant écho aux directions syndicales – ont prêché le mensonge que l’État capitaliste est là pour protéger les travailleurs. Leur programme pour protéger la santé et sécurité a été de réclamer des confinements plus sévères et plus longs, davantage de fermetures d’usines et d’écoles, et des mesures sanitaires et anti-Covid plus strictes, que les agences sanitaires des patrons se chargeraient de faire respecter. C’est suicidaire, et c’est une trahison des principes socialistes !

    Les syndicats sont les organisations de défense élémentaires du prolétariat. Leur rôle est de défendre les travailleurs sur le lieu de travail, pas de se battre pour les renvoyer chez eux ! Les syndicats doivent lutter immédiatement pour le contrôle syndical de la santé et sécurité ! Ce sont les syndicats, pas l’État capitaliste, qui doivent déterminer quelles conditions sont sûres pour travailler. Les pseudo-socialistes parlent sans cesse de « contrôle ouvrier » sur la santé-sécurité ou la production. Mais si ce « contrôle ouvrier » ne repose pas sur l’indépendance de classe du prolétariat, sur une opposition intransigeante à l’État capitaliste et sur un programme pour le pouvoir ouvrier, il s’agit simplement de gestion par les travailleurs en partenariat avec les capitalistes et leur État, c’est-à-dire de collaboration de classes institutionnalisée.

    L’État capitaliste est le bras armé des patrons. Il est là pour imposer l’exploitation de la classe ouvrière, pas pour assurer des conditions de travail sûres ! Les révolutionnaires luttent pour l’indépendance complète des syndicats par rapport aux patrons et à l’État capitaliste ! Flics, agents de sécurité, gardiens de prison, hors des syndicats !

  4. Tandis que le mouvement ouvrier est sur la défensive à cause de sa direction traîtresse, les impérialistes britanniques intensifient leurs déprédations à l’étranger. Pour renforcer leur position et détourner la colère à leur égard, ils montent les travailleurs contre la Chine. L’ennemi des travailleurs britanniques, ce sont les capitalistes britanniques ! L’opposition à l’impérialisme britannique est une question posée de manière urgente avec la nécessité de défendre la Chine contre l’intensification de la campagne contre-révolutionnaire des impérialistes. La Chine est un État ouvrier bureaucratiquement déformé, et le prolétariat international doit défendre les acquis de la révolution sociale chinoise de 1949 ! Pour défendre et étendre ces acquis, les trotskystes luttent pour une révolution politique prolétarienne pour chasser la bureaucratie stalinienne parasitaire. Mais tous les pseudo-socialistes britanniques s’opposent à cette perspective.

    Si certains staliniens soutiennent la bureaucratie réactionnaire du Parti communiste chinois, les sociaux-démocrates et les pseudo-trotskystes, eux, mobilisent pour le programme de contre-révolution capitaliste des impérialistes britanniques et américains : ils dénoncent « l’impérialisme chinois » et font campagne pour la « démocratie » et les « droits de l’homme ». C’est derrière ces mêmes slogans que les impérialistes ont incité la contre-révolution capitaliste qui a détruit l’URSS – une défaite majeure pour le prolétariat du monde entier, mais dont tous les pseudo-trotskystes se sont réjouis. Ils font maintenant la même chose avec la Chine, la Corée du Nord et tous les États ouvriers déformés qui subsistent. À bas l’impérialisme britannique et toutes ses alliances ! À bas l’OTAN ! À bas l’AUKUS ! Donnez les armes nucléaires Trident à la Corée du Nord !

  5. Le Parti travailliste a montré une fois de plus pendant la pandémie sa totale servilité envers les capitalistes. Qu’il s’agisse de l’aile droite derrière Starmer ou de l’aile gauche corbyniste, elles ont toutes trahi les travailleurs et apporté une aide cruciale au gouvernement conservateur de Boris Johnson. Les travailleurs ont besoin d’un nouveau parti révolutionnaire luttant pour le pouvoir ouvrier, dans une IVe Internationale reforgée. Les pseudo-marxistes britanniques sont un obstacle politique à cela. Depuis plus d’un siècle, toute leur stratégie consiste à faire pression sur l’aile gauche du Parti travailliste pour qu’elle adopte un programme socialiste. Ils le font soit à l’intérieur du Parti travailliste (comme Socialist Appeal, quand on ne les jette pas dehors), soit de l’extérieur (comme le Socialist Party, dont la stratégie est de construire un nouvel obstacle réformiste de masse à la révolution). Cela n’a conduit qu’à des défaites et des trahisons.

    De Nye Bevan à Corbyn en passant par Tony Benn, le programme bourgeois de la gauche travailliste pour administrer l’État capitaliste britannique conduit forcément à trahir les intérêts de la classe ouvrière. C’est cela la principale leçon des années Corbyn. Contre les réformistes qui sèment des illusions envers la gauche du Parti travailliste, les révolutionnaires doivent lutter pour que la classe ouvrière rompe avec ce parti – son aile gauche comme son aile droite – sur la base d’un programme révolutionnaire, afin de construire un parti d’avant-garde léniniste.

III. Parti d’avant-garde léniniste contre corbynisme

Après les résultats électoraux catastrophiques de Corbyn en 2019, Sir Keir Starmer l’a remplacé à la tête du Parti travailliste. Alors que Starmer fait campagne pour rompre avec l’héritage de son prédécesseur, la gauche travailliste est embourbée dans de pitoyables introspections cherchant à comprendre « ce qui n’a pas marché ». En plaçant leurs espoirs dans une version plus radicale du corbynisme, dans la construction d’un nouveau Parti travailliste réformiste de masse ou dans les bureaucrates soi-disant de gauche et la combativité syndicale, ils ne font que recycler des mythes travaillistes éculés. Seul le léninisme peut permettre aux travailleurs et aux jeunes déçus et désillusionnés par Corbyn d’avancer. La crise sociale actuelle provoquée par la pandémie et la soumission totale du Parti travailliste, des directions syndicales et de la gauche réformiste aux attaques des capitalistes rendent encore plus urgente la tâche d’avancer un programme révolutionnaire pour les îles Britanniques. Mais pour pouvoir le faire, la SL/B doit répudier sa capitulation devant le Parti travailliste.

La SL/B a rejeté sa tâche stratégique

L’élection de Corbyn à la tête du Parti travailliste en 2015 a signifié un brusque tournant à gauche après des décennies de domination du parti par les blairistes (droite du Parti travailliste, partisans de Tony Blair). C’était un changement majeur dans le paysage politique britannique. Pendant presque cinq ans à la tête du Parti travailliste, Corbyn a rendu des services inestimables à la bourgeoisie britannique. Il a trahi la classe ouvrière en faisant campagne contre le Brexit et il a réussi à détourner de la lutte de classe l’immense mécontentement social provoqué par des décennies d’attaques, et à le canaliser dans l’impasse de l’électoralisme. Sa direction s’est caractérisée par sa conciliation systématique des blairistes – malgré leurs complots incessants pour le renverser – et par sa répudiation de pratiquement toutes les positions qui l’avaient initialement rendu populaire.

L’expérience Corbyn représentait pour les communistes une occasion en or de démontrer la banqueroute totale du travaillisme de gauche et de motiver la nécessité d’un parti léniniste. Au lieu de cela, la SL/B a passé cinq ans à capituler devant Corbyn. Cette conférence répudie tous les articles sur Jeremy Corbyn qui ont été publiés dans Workers Hammer (WH) du n° 232 au n° 246 (de l’automne 2015 au printemps 2020).

La campagne de Corbyn pour la direction du Parti travailliste en 2015 avait créé d’énormes illusions du fait qu’il répudiait la politique blairiste d’austérité et de guerre impérialiste. Dans ce contexte, il était parfaitement approprié d’utiliser la tactique du soutien critique. Cela dit, toute tactique est nécessairement subordonnée à la stratégie générale. En 1982, la SL/B avait rétrospectivement donné un soutien critique au travailliste de gauche Tony Benn avec le slogan « Le Parti travailliste peut trahir sans son aile pro-CIA ». Nous écrivions :

« La situation exigeait d’un groupe trotskyste de propagande, qui cherche à arracher la base ouvrière du Parti travailliste à ses dirigeants procapitalistes traîtres pour la gagner à un programme révolutionnaire, qu’il accorde un soutien critique à Tony Benn – afin d’exacerber et d’exploiter la scission commencée avec la formation du SDP, de chasser l’aile droite ouvertement liée à la CIA et pro-impérialiste et de placer Benn dans une position où sa politique réformiste de gauche pourrait être plus efficacement démasquée et combattue. »

– « La guerre froide ébranle le Parti travailliste britannique » (Spartacist Britain n° 41, avril 1982 ; des extraits de cet article ont été publiés en français dans Le Bolchévik n° 34, juillet-août 1982)

Alors qu’en 1982 notre approche tactique découlait de notre objectif de scissionner la base ouvrière du Parti travailliste de sa direction sur la base d’un programme révolutionnaire, le point de départ de l’intervention de la SL/B vis-à-vis de Corbyn était de rejeter explicitement cette tâche.

La Conférence nationale de la SL/B de mai 2015 (quelques mois avant que Corbyn ne pose sa candidature pour devenir chef du parti) aurait caractérisé le Parti travailliste de parti bourgeois si l’intervention de l’Internationale ne l’en avait pas empêchée de justesse. Cette conférence a cependant officialisé un changement de programme à l’égard du Parti travailliste. Le document de la conférence déclarait : « Depuis l’époque où cette motion [une motion de 2002 caractérisant le blairisme] a été adoptée, nous avons cessé d’appeler dans notre propagande à scissionner la base du Parti travailliste de sa direction – ce qui était auparavant un élément stratégique de notre perspective pour construire un parti ouvrier révolutionnaire en Grande-Bretagne » (publié dans WH n° 231, été 2015, souligné par nous).

En déclarant que la scission entre la base et la direction était « auparavant » stratégique, la SL/B rejetait explicitement la seule manière de construire un parti révolutionnaire en Grande-Bretagne. La présente conférence répudie cette déclaration et réaffirme que le Parti travailliste est un parti ouvrier-bourgeois, et que la tâche stratégique pour construire un parti révolutionnaire en Grande-Bretagne est de scissionner la base ouvrière de sa direction procapitaliste sur la base d’un programme révolutionnaire, comme nous l’expliquons dans « Les révolutionnaires et le Parti travailliste » (Spartacist édition en anglais n° 33, printemps 1982).

Avec l’arrivée de Corbyn au milieu de 2015, les « tactiques » de la SL/B et son appel à « chasser l’aile blairiste » ne visaient pas à exacerber les contradictions dans le Parti travailliste dans le but de le scissionner suivant une ligne de classe. La perspective stratégique est devenue de « ranimer » le Parti travailliste comme parti ouvrier-bourgeois. Nous l’avons exprimé explicitement en affirmant à plusieurs reprises que chasser les blairistes aurait le même effet que la formation du Parti travailliste au XXe siècle. Nous avons répété maintes fois qu’« une scission avec l’aile droite représenterait un pas vers l’indépendance politique de la classe ouvrière » et que « le schisme au sein du Parti travailliste est le reflet des deux classes opposées dans la société bourgeoise » (voir tous les numéros de WH en 2015-2017, en commençant par le n° 232). Autrement dit, chasser les blairistes aurait signifié un pas en avant vers une situation où le prolétariat cesserait d’être politiquement subordonné à la bourgeoisie.

C’est présenter Corbyn comme s’il avait un programme authentiquement ouvrier, et rejeter la conception léniniste que le programme de toutes les ailes du Parti travailliste est bourgeois. Loin de maintenir systématiquement « une stricte indépendance programmatique par rapport à toutes les ailes de la bureaucratie travailliste » (« Les révolutionnaires et le Parti travailliste »), la SL/B soutenait politiquement le programme d’une aile contre l’autre.

La raison invoquée par la SL/B pour soutenir Corbyn était au fond que les blairistes étaient qualitativement différents des précédentes fractions de droite dans le Parti travailliste. La SL/B présentait les blairistes comme s’ils étaient débarrassés de la contradiction entre leur programme bourgeois et les liens organiques du parti avec la classe ouvrière, et comme s’ils avaient un caractère de classe purement bourgeois même s’ils étaient à l’intérieur du Parti travailliste. C’est tout simplement faux ; Blair n’était pas le premier dirigeant travailliste à vouloir se séparer de la base ouvrière du parti (ce qui ne veut pas dire qu’il ait réussi à le faire). Le programme libéral bourgeois du Parti travailliste signifie que la direction se retrouve constamment en conflit avec sa base ouvrière, qui constitue à la fois la source de son pouvoir et une entrave à ses ambitions bourgeoises.

Et surtout, cette caractérisation du blairisme était une justification théorique pour un bloc permanent avec la gauche du Parti travailliste contre la droite. C’est un exemple classique du programme réformiste de « make the lefts fight » (pousser les travaillistes de gauche à se battre), et une rupture avec la continuité programmatique de la SL/B. Le document de fondation de la SL/B en 1978, « En défense du programme révolutionnaire », est une polémique contre l’approche de la SL/B à l’égard de Corbyn :

« La stratégie centrale de la direction [de la Workers Socialist League, WSL] à l’égard des dirigeants actuels de la classe ouvrière se résume dans la formule “pousser les travaillistes de gauche à se battre”. Ce slogan découle de la conception erronée que le Parti travailliste est divisé en deux ailes bien distinctes, la gauche et la droite, qui, pour la direction, représentent en quelque sorte respectivement le prolétariat et la bourgeoisie. D’où le soutien “critique” donné aux tendances “de gauche”. Au lieu d’offrir une alternative aux trahisons de la droite, le slogan “pousser les travaillistes de gauche à se battre” ne sert qu’à couvrir de notre autorité les prétentions “de gauche” des crétins parlementaires contre-révolutionnaires pourris jusqu’à la moelle du groupe Tribune ; il sert ainsi à enchaîner le développement politique de la classe ouvrière à une aile de la social-démocratie. »

Spartacist Britain n° 1, avril 1978

La preuve la plus claire que la SL/B s’est trouvée en bloc permanent avec Corbyn, c’est qu’elle l’a soutenu lors de la deuxième élection pour la direction du parti, après la campagne qu’il avait menée pour rester dans l’UE (voir « Laissez Jeremy Corbyn diriger le Parti travailliste », WH n° 236, automne 2016). Corbyn a trahi la classe ouvrière sur la question politique décisive du moment, mais pour la SL/B, le soutien à Corbyn contre les blairistes passait avant l’opposition « de principe » à l’impérialisme. C’était une capitulation totale.

Il va de soi dans le Parti travailliste que l’aile gauche cherche à se concilier l’aile droite, et il est parfaitement approprié de dénoncer la gauche quand elle choisit l’unité au lieu de ses « principes ». Pour les révolutionnaires, avancer des slogans comme « Chassez les blairistes » et « Chassez la cinquième colonne du SDP » (Spartacist Britain n° 52, septembre 1983) vise à montrer concrètement comment le programme du travaillisme de gauche conduit nécessairement à la conciliation et à la capitulation. Notre objectif est de démasquer les travaillistes de gauche, pas de faire pression sur eux pour qu’ils adoptent une meilleure politique (« pousser les travaillistes de gauche à se battre »). En 1982-1983, nous cherchions à « Mettre la “gauche” travailliste de Benn/Meacher au pouvoir, où l’on pourra mieux la démasquer aux yeux des travailleurs ! » (Spartacist Britain n° 52, souligné par nous).

Nous ne devons jamais cesser non plus d’être clairs que notre objectif c’est un parti léniniste avec un programme révolutionnaire, pas un Parti travailliste sans son aile droite. Dans les années 1980, la SL/B était parfaitement claire : une scission avec Denis Healey et Cie « ne serait pas notre scission ; un Parti travailliste sans les Denis Healey ne serait pas notre parti ; mais ce serait une bonne chose pour la classe ouvrière si l’aile droite farouchement pro-OTAN/CIA était chassée du mouvement ouvrier » (Spartacist Britain n° 52). Mais à l’égard de Corbyn, la SL/B, comme le reste de la gauche, a présenté la scission avec les blairistes comme l’objectif ultime.

La SL/B rejetait ainsi la conception léniniste du parti d’avant-garde. C’est très clair dans la manière dont nous opposions le « broad church » (« parti de toute la classe », regroupant toutes les tendances du mouvement ouvrier) de Corbyn au type de parti pour lequel nous luttons. Notre seule objection au « parti de toute la classe » était que cela signifie faire la paix avec les blairistes et les militants arriérés : « Dans la situation actuelle, reconstituer le “parti de toute la classe” veut dire que les partisans de Corbyn vont cohabiter avec les blairistes, y compris Tony Blair lui-même, que beaucoup considèrent comme un criminel de guerre à cause de l’Irak » (« Raz de marée corbyniste, contrecoup blairiste », WH n° 232, automne 2015). Dans les faits, la SL/B transformait l’opposition léniniste au parti de toute la classe en une autre version de « pousser les travaillistes de gauche à se battre ».

La raison pour laquelle les léninistes sont contre le « parti de toute la classe », c’est que l’aile révolutionnaire est subordonnée à l’aile réformiste, et non pas que la gauche sociale-démocrate est gênée par la droite sociale-démocrate. Par conséquent, pour les léninistes, lutter contre le « parti de toute la classe » travailliste ne veut pas dire se battre contre le fait que Corbyn fasse la paix avec les blairistes. Cela veut dire lutter contre ceux qui se disent révolutionnaires (comme la SL/B) et qui prêchent l’unité avec Corbyn.

Lénine avait rompu avec la conception d’un « parti de toute la classe » parce qu’il avait compris que le courant opportuniste dans la IIe Internationale d’avant-guerre, tout comme les sociaux-chauvins pendant la guerre, avait une base matérielle dans la « couche comprenant la bureaucratie ouvrière et les compagnons de route petits-bourgeois » qui recevaient « quelques miettes » des impérialistes. Lénine en tira la conclusion qu’« il est absurde de considérer, aujourd’hui encore, que l’opportunisme soit un phénomène intérieur du Parti ». Il en conclut aussi :

« L’unité avec les social-chauvins, c’est l’unité avec “sa propre” bourgeoisie nationale qui exploite d’autres nations ; c’est la division du prolétariat international. Cela ne veut point dire que la rupture avec les opportunistes est partout possible immédiatement ; cela veut dire seulement qu’elle est mûre au point de vue historique, qu’elle est nécessaire et inévitable pour la lutte révolutionnaire du prolétariat, et que, par le passage du capitalisme “pacifique” au capitalisme impérialiste, l’histoire a préparé cette rupture. »

– « L’opportunisme et la faillite de la IIe Internationale » (janvier 1916)

Corbyn est un réformiste parlementaire traditionnel, entièrement dans la tradition de l’aile opportuniste de la IIe Internationale. La leçon fondamentale du léninisme sur la question du parti, c’est que l’aile révolutionnaire du mouvement ouvrier doit scissionner de l’aile opportuniste – c’est une condition préalable au succès de la révolution. Cela veut dire se battre pour scissionner le Parti travailliste selon une ligne réforme contre révolution et non droite contre gauche, Blair contre Corbyn ou arriérés contre progressistes, comme l’argumentait Workers Hammer récemment.

Dans les années 1980, le but des tactiques de la SL/B était de gagner la base du Parti travailliste au programme du trotskysme contre celui de Tony Benn. Nos tactiques visaient à montrer que, de toutes les questions fondamentales auxquelles le mouvement ouvrier était confronté, il n’y en avait pas une seule à laquelle le programme de Benn pouvait répondre et que ce qu’il fallait, c’était un parti révolutionnaire avec un programme révolutionnaire. En rejetant la lutte pour un parti léniniste pendant la période Corbyn, la SL/B rejetait forcément du même coup le programme marxiste sur toutes les autres questions fondamentales pour la révolution dans ce pays (l’impérialisme, l’État, la question nationale, l’oppression des minorités, etc.).

Les « critiques » de la SL/B à l’égard de Corbyn sur ces questions fondamentales étaient entièrement subordonnées à l’objectif stratégique de le soutenir. Dans ce cadre, la plupart des « critiques » étaient simplement travaillistes de gauche ; les quelques arguments plus ou moins « orthodoxes » avancés ne valaient rien étant donné la ligne politique des articles. Pour rompre définitivement avec le corbynisme, il faut réaffirmer chacun des principes fondamentaux de notre programme en Grande-Bretagne, ce que le présent document commence à faire. Il nous faut aussi réaffirmer le programme marxiste contre l’oppression nationale, ainsi que notre programme contre l’oppression raciale et l’oppression des immigrés en Grande-Bretagne, mais c’est au-delà de nos capacités pour cette conférence.

La bataille de 2017 : couverture opportuniste

Au moment de la bataille internationale de 2017 [voir Spartacist édition en français n° 43, été 2017], la SL/B était allée si loin dans la voie de la liquidation politique et organisationnelle qu’elle limitait ses activités (ventes, polémiques, campagne d’abonnements) parce que la direction estimait qu’elles pourraient nuire à Corbyn. Notre existence même était, au fond, vue comme un obstacle à la lutte de classe (à laquelle nous avions identifié la campagne de Corbyn). Bien que la bataille de 2017 dans la SL/B ait réfréné ce cours liquidationniste et corrigé certaines capitulations particulièrement flagrantes, elle avait comme point de départ de réaffirmer le contenu programmatique fondamental de notre orientation révisionniste envers Corbyn. Un membre du Comité exécutif international a orienté la bataille avec une lettre du 8 janvier 2017 qui disait dès le départ : « À mon avis, la SL/B a de façon générale fait un bon travail concernant Corbyn et l’UE/Brexit. »

La motion du CC de la SL/B de janvier 2017 blanchissait totalement la campagne opportuniste de la section pour soutenir Corbyn ; elle prétendait que cette campagne « partait du principe qu’il fallait maintenir l’indépendance politique vis-à-vis du Parti travailliste de Corbyn et mettait en avant une opposition programmatique à sa politique travailliste de gauche ». La motion affirmait ensuite que la direction avait « perdu de vue notre objectif ultime, qui consiste non pas à avoir un Parti travailliste corbyniste mais à dresser la base contre la direction afin de forger un parti révolutionnaire d’avant-garde (léniniste) » (souligné par nous). Premièrement, la direction n’avait pas « perdu de vue » son objectif, elle l’avait rejeté dès le départ. Deuxièmement, cette réaffirmation « orthodoxe » de notre programme était une dissimulation centriste basée sur la défense du bloc politique complètement opportuniste avec Corbyn contre les blairistes.

L’article « Honte à Corbyn pour son soutien à l’UE » (WH n° 238, printemps 2017), publié après cette bataille, corrigeait seulement notre affirmation dans WH n° 236 qu’il y aurait une différence de classe entre Corbyn et Owen Smith sur l’UE, et le fait que WH n° 237 (hiver 2016-2017) avait passé sous silence le soutien de Corbyn à la campagne pour rester dans l’UE. Cependant, l’article maintenait explicitement tout le cadre révisionniste des articles précédents, réaffirmant que chasser les blairistes « représenterait un pas en avant vers l’indépendance politique de la classe ouvrière ».

À l’automne 2017, il y a eu une autre discussion sur le Parti travailliste. La série de motions adoptées en décembre 2017 à la réunion du CC de la SL/B disaient que le Parti travailliste était un parti ouvrier-bourgeois, qu’il n’était plus moribond, et elles réaffirmaient que « notre perspective stratégique est de scissionner la base ouvrière du Parti travailliste de sa direction en la gagnant au programme du marxisme révolutionnaire et de construire un parti léniniste en opposition au Parti travailliste ». C’est une affirmation parfaitement correcte, et en résultat la SL/B a mentionné au moins deux fois ces cinq dernières années qu’elle lutte pour scissionner la base du Parti travailliste de la direction. Mais réaffirmer ces positions correctes tout en défendant le bloc politique de la SL/B avec Corbyn contre la droite, son soutien sans principes à Corbyn lors de la deuxième élection à la direction, son révisionnisme sur la question du « parti de toute la classe », etc., c’était là encore une couverture centriste.

Les articles qui s’approchent le plus d’un bilan du corbynisme sont les deux articles de WH n° 246 (printemps 2020) « Pour un parti ouvrier révolutionnaire multiethnique ! » et « Élections 2019 : aucun choix pour les travailleurs ». L’argument central dans ces articles est que Corbyn avait un programme ouvrier authentique qu’il a trahi par la suite. C’est explicite dans WH n° 246, qui affirme que l’unionisme de Corbyn [son opposition à la séparation de l’Écosse] et sa campagne pour rester dans l’UE « ont laissé les près de 40 % d’électeurs écossais pro-Brexit sans aucune représentation politique ouvrière et ont été un cadeau pour le SNP » (Scottish National Party ; souligné par nous). Selon cette déclaration, le Parti travailliste aurait donc représenté les intérêts de la classe ouvrière si Corbyn avait continué à s’opposer à l’UE sur une base réformiste de « petite Angleterre » et s’il avait eu une position moins chauvine sur l’Écosse. C’est rejeter une fois de plus la conception léniniste selon laquelle toutes les ailes du Parti travailliste ont un programme totalement bourgeois.

Dans la mesure où ces articles expliquent pourquoi Corbyn a « trahi », c’est avec un raisonnement circulaire : « la loyauté de Corbyn envers l’UE s’inscrit dans la longue tradition des trahisons du Parti travailliste. » Un fil conducteur de WH n° 246 est que le Parti travailliste est chauvin, pro-impérialiste et trahit toujours. Bien que ce ne soit pas faux en soi, cette explication est tout à fait stérile. Elle n’explique pas pourquoi le Parti travailliste trahit toujours, ni pourquoi il adopte parfois une posture qui paraît radicale.

La principale conclusion que le lecteur tirera de ce numéro du journal, c’est que le programme de Corbyn était initialement bon mais que le Parti travailliste n’était pas le bon véhicule pour le mettre en œuvre, ou que Corbyn a personnellement trop cédé aux blairistes. L’autre conclusion que l’on en tire, c’est qu’il faut plus de combativité syndicale. Toutes ces explications s’inscrivent entièrement dans le cadre de « pousser les travaillistes de gauche à se battre » et elles sont compatibles avec les leçons tirées par le reste de la gauche sur les années Corbyn. Elles imputent l’échec de Corbyn à tout sauf à ce qui compte réellement : son programme.

C’est le programme réformiste de Corbyn qui a pavé la voie à ses capitulations. Au lieu de démontrer cela, les articles de WH partagent son opposition réformiste à l’UE –basée sur le fait qu’elle est « néolibérale » et qu’elle empêche l’impérialisme britannique de mettre en œuvre des politiques sociales-démocrates (voir « L’opposition travailliste de la SL/B à l’UE » dans la section IV ci-après). Dans la même veine, les articles présentent l’unionisme britannique de Corbyn comme un produit des préjugés arriérés du Parti travailliste, au lieu de montrer clairement comment le chauvinisme du Parti travailliste sur l’Écosse découle de la défense par les chefs travaillistes du capitalisme britannique, dont un élément central est de maintenir l’oppression nationale au sein du Royaume-Uni réactionnaire. Ce qui donne le cadre à ces articles n’est pas le programme dont a besoin la classe ouvrière pour son émancipation, mais le programme dont les travaillistes ont besoin pour gagner les élections.

Leçons de la trahison de Corbyn

Depuis le moment où Corbyn a remporté l’élection pour la direction du Parti travailliste jusqu’à sa chute suite aux élections de 2019, la tâche des marxistes révolutionnaires était de montrer concrètement, au fil des événements, comment le programme de Corbyn était par nature incapable de répondre aux besoins de la classe ouvrière. Nous devions motiver la nécessité d’un parti léniniste armé d’un programme marxiste. Pour cela, il fallait comprendre clairement la dynamique derrière l’étonnante ascension initiale de Corbyn ainsi que les facteurs qui ont provoqué sa chute tout aussi spectaculaire. Les premiers articles que la SL/B a écrits sur Corbyn jubilent, les articles ultérieurs sont plus critiques. Mais étant donné que la section n’a jamais rompu avec sa capitulation travailliste, elle n’a jamais été capable d’expliquer de façon programmatique pourquoi Corbyn avait initialement eu autant de succès ni pourquoi il a échoué si lamentablement. Nous étions obligés d’expliquer l’« intransigeance » et les « capitulations » de Corbyn par son caractère et ses actions personnelles, et non par des questions de programme et de forces de classe.

Corbyn a remporté une victoire écrasante aux élections pour la direction du Parti travailliste en 2015, à la surprise de tout le monde, y compris lui-même. Comment un député qui avait passé toute sa carrière comme « backbencher » marginal (député d’arrière-ban, qui n’occupe pas de poste de responsabilité importante) avait-il réussi à gagner ? Un énorme mécontentement s’était accumulé dans la classe ouvrière, et particulièrement dans la base du Parti travailliste, contre des décennies d’austérité et d’interventions militaires. Dans Où va l’Angleterre ? (1925), Trotsky expliquait les raisons derrière le succès du Parti ouvrier indépendant après la Première Guerre mondiale :

« Derrière les illusions démocratiques et pacifistes des masses ouvrières, il y a leur volonté de classe éveillée, leur profond mécontentement, leur disposition à soutenir leurs revendications par tous les moyens que les circonstances peuvent commander. Mais la classe ouvrière ne peut bâtir un parti qu’avec le matériel idéologique et le personnel dirigeant que le développement antérieur du pays, toute sa culture théorique et politique, ont formé. »

Étant donné la nature réactionnaire de ces dernières décennies, les dirigeants qu’il y avait en 2015 pour canaliser ce mécontentement étaient particulièrement faibles et incompétents. Ni Corbyn lui-même ni son programme n’avaient quoi que ce soit d’exceptionnel. C’est simplement lui qui était là à ce moment pour servir de paratonnerre et canaliser l’énorme pression sociale accumulée.

Pour paraphraser ce que la SL/B écrivait dans « La guerre froide ébranle le Parti travailliste britannique » (Spartacist Britain n° 41, avril 1982 – voir des extraits dans Le Bolchévik n° 34, juillet-août 1982), l’élection à la direction du parti en 2015 est devenue un affrontement majeur sur les questions principales qui déchiraient le Parti travailliste, encore que de façon négative : contre les blairistes, contre les architectes des interventions militaires et de l’austérité. Toute une couche de jeunes a soutenu Corbyn, mais ce qui a été décisif, c’est qu’il a réussi à obtenir le soutien d’une partie conséquente des bureaucrates syndicaux. Pour eux, c’était d’une part pour diminuer la pression venant de leur base, et d’autre part parce qu’ils étaient frustrés de n’avoir pas eu « voix au chapitre » sous les blairistes.

Tant qu’il était un député d’arrière-ban sans importance, Corbyn pouvait se permettre de dénoncer le gouvernement sur l’austérité, les armes nucléaires, les guerres ; il pouvait dénoncer l’UE parce qu’elle est néolibérale, et soutenir la Palestine contre l’État sioniste. Son programme libéral utopique pour la « paix sur terre » et pour « en finir avec la pauvreté » n’était jamais une menace et fournissait en fait une mince couverture au gouvernement travailliste criminel de Tony Blair. Mais les choses ont changé quand Corbyn est devenu chef de l’Opposition de Sa Majesté.

Dans Où va l’Angleterre ?, Trotsky explique comment Ramsay MacDonald, opposant pacifiste à la guerre, s’était vite transformé, une fois au gouvernement, en social-chauvin construisant « des croiseurs légers, en attendant d’en construire des lourds » :

« Le Parti ouvrier indépendant [le parti de MacDonald] était, comme nous l’avons déjà dit, on ne peut mieux adapté au rôle d’une opposition centriste dégagée des responsabilités, qui critique sans causer aux dirigeants de préjudice appréciable. Mais les “Indépendants” devinrent promptement une force politique, ce qui modifia à la fois leur rôle et leur physionomie. »

Corbyn n’a jamais été centriste, mais son élection à la tête du Parti travailliste avait un caractère similaire. Dès qu’il l’a emporté, sa fonction et son rôle ont changé et il a commencé à être déchiré par les contradictions de sa nouvelle position.

Non seulement Corbyn devait apporter des réponses concrètes aux problèmes du moment, mais les gens prenaient au sérieux ce qu’il disait. Dans le contexte de la dépendance stratégique de l’impérialisme britannique envers les États-Unis et de l’offensive internationale d’austérité après la crise de 2008, les positions de Corbyn sur une série de questions (OTAN, Ukraine, « guerre contre le terrorisme », Trident, nationalisations) n’étaient pas acceptables pour la bourgeoisie. C’est ce qui lui a valu un large soutien populaire, et qui a provoqué une réaction majeure de la bourgeoisie ainsi qu’une révolte continuelle de la part de l’aile blairiste du parti. Il devait choisir entre braver frontalement la bourgeoisie et capituler. Mais étant donné que le programme bourgeois de Corbyn n’était pas fondé sur les intérêts matériels de la classe ouvrière mais sur de vagues notions de « paix » et de « justice », il ne s’appuyait sur rien de solide et il a rapidement capitulé sur une question après l’autre.

De plus, comme Corbyn n’avait été élu que sur la base d’un programme négatif d’opposition au blairisme, ses partisans se sont retrouvés divisés et désunis dès que des questions concrètes ont été soulevées : l’UE, la Russie, l’« antisémitisme », etc. Du fait aussi de son programme de socialisme parlementaire, Corbyn abordait toutes les questions en termes de succès électoral, ce qui le faisait basculer chaque fois que l’opinion publique changeait, et le liait à la majorité blairiste de la fraction parlementaire du Parti travailliste. Et ce n’est pas tout : en fin de compte c’est la bureaucratie syndicale qui mène la barque au sein du Parti travailliste. Tout ce que Corbyn faisait devait être acceptable pour les dirigeants conservateurs et procapitalistes des syndicats. Tout cela donne une image limpide de l’impuissance totale du travaillisme de gauche.

Le rôle des trotskystes dans cette situation était d’expliquer que c’est dans le programme de Corbyn que résidait le problème fondamental. Dans « L’Opportunisme et la faillite de la IIe Internationale » (1916), Lénine explique la continuité entre le programme du réformisme d’avant-guerre et le soutien ouvert à la bourgeoisie pendant la guerre :

« Le contenu politique de l’opportunisme et celui du social-chauvinisme sont identiques: c’est la collaboration des classes, la renonciation à la dictature du prolétariat, à l’action révolutionnaire, la reconnaissance sans réserve de la légalité bourgeoise, le manque de confiance dans le prolétariat, la confiance dans la bourgeoisie. Le social-chauvinisme est le prolongement direct et le couronnement de la politique ouvrière libérale anglaise, du millerandisme et du bernsteinisme. »

Si on applique cela au contexte de Corbyn, ce qu’il nous fallait expliquer, c’est que le soutien de Corbyn à l’impérialisme britannique, sa défense de l’UE, son chauvinisme anglais envers l’Écosse, son soutien aux confinements, sont le prolongement direct et le couronnement de son programme travailliste de gauche. Au bout du compte, il n’y a pas de terrain d’entente entre un programme prolétarien et un programme bourgeois. L’impérialisme ne peut pas être géré « pacifiquement », l’État capitaliste ne peut pas « servir le peuple » et la bourgeoisie ne sera pas chassée du pouvoir par des élections. Seul un programme communiste pour lequel se bat un parti léniniste peut ouvrir la voie à la lutte contre la misère capitaliste.

Sur le plan tactique, prendre le côté de Corbyn contre les blairistes aurait pu être une manière d’exploiter la contradiction entre les aspirations des masses qui alimentaient l’ascension de Corbyn et l’incapacité totale de celui-ci à les réaliser. Il n’y a pas de différence programmatique fondamentale entre la gauche et la droite du Parti travailliste. Ce n’est pas le programme de Corbyn qui était le moteur de la guerre des classes au sein du Parti travailliste, mais les aspirations de la base qui se heurtaient à la politique de la direction. Les blairistes défendaient ouvertement des politiques anti-ouvrières et ils étaient la principale cible de la colère. Cette pression de la base aurait pu conduire à chasser les blairistes malgré tous les efforts de Corbyn. Cela aurait montré plus clairement que le véritable obstacle aux aspirations des masses n’était pas l’aile droite mais le programme bourgeois du travaillisme, y compris de son aile gauche. Il aurait été plus facile d’illustrer concrètement la nécessité d’un parti révolutionnaire et de tracer une ligne de classe dans le Parti travailliste.

Lors d’une réunion du Comité central de la SL/B en mai 1981, notre camarade Jim Robertson avait fait remarquer que la vie politique britannique avait un caractère cyclique en ce qui concerne le Parti travailliste. Depuis au moins 2015, la SL/B a été systématiquement à la traîne du travaillisme de gauche et a tout simplement suivi le reste de la gauche dans ce cycle : révulsion pour Blair, enthousiasme pour Corbyn, révulsion à nouveau avec Keir Starmer. Ces derniers temps, des membres du CC de la SL/B, tout comme le reste de la gauche réformiste, ont prétendu qu’il n’y avait pas d’illusions dans le Parti travailliste de Starmer, que Keir Starmer est en train de transformer le Parti travailliste en parti bourgeois, et qu’en gros, le Parti travailliste est réactionnaire de bout en bout.

Keir Starmer s’attaque maintenant à la gauche du parti afin de rétablir la « respectabilité » du Parti travailliste et il s’en remet largement pour cela à la bureaucratie syndicale. Les réformistes peuvent toujours pleurnicher et se plaindre de Starmer mais sur la question principale de l’heure – la pandémie – la gauche travailliste n’a pas de divergence majeure avec lui et elle soutient totalement les politiques dévastatrices de la bourgeoisie. L’approche tactique actuellement appropriée est de « lancer des pierres » au Parti travailliste. Dans ce cadre, nous devons nous attaquer à l’ensemble du Parti travailliste, en particulier à ses parasites de gauche qui font la promotion des bureaucrates de « gauche » à la fois dans le parti et dans les syndicats.

IV. Pour une opposition révolutionnaire à l’impérialisme britannique !

Au moins depuis l’élection de Corbyn à la tête du Parti travailliste, la SL/B a systématiquement partagé le programme pacifiste libéral de Corbyn pour l’impérialisme britannique, ainsi que l’approche travailliste sur l’UE, ce qui veut dire soutenir une politique alternative pour l’impérialisme britannique. Pour réarmer la SL/B, nous devons répudier ces capitulations et mettre en avant une opposition prolétarienne, révolutionnaire et internationaliste à l’impérialisme, qui soit diamétralement opposée au travaillisme de la « petite Angleterre ».

L’adoption du pacifisme travailliste de Corbyn

À partir de son numéro 232, Workers Hammer a systématiquement présenté l’opposition de Corbyn à l’OTAN, à Trident ou aux interventions militaires britanniques et américaines comme s’il s’agissait de positions de principe contre l’impérialisme, au lieu de montrer ce qu’elles étaient réellement : du pacifisme travailliste préconisant une politique différente pour gérer l’impérialisme britannique. Dans les pages de WH on félicitait Corbyn, sans l’ombre d’une critique, pour son « opposition de longue date à l’alliance militaire de l’OTAN dirigée par les États-Unis » (WH n° 232), parce qu’il n’était « pas convaincu qu’une campagne de bombardements résoudra réellement quoi que ce soit » (WH n° 233, hiver 2015-2016) et qu’il ne voulait pas « entrer en guerre » (WH n° 236). Au lieu d’accomplir le devoir révolutionnaire élémentaire de démasquer le programme totalement utopique et réactionnaire de Corbyn – ce qui est essentiel dans une campagne de soutien critique – la SL/B a vidé le marxisme de sa substance afin de promouvoir le corbynisme.

Et lorsque WH critiquait la politique étrangère de Corbyn, c’était souvent pour répéter que Corbyn voulait que l’impérialisme britannique adopte une « stratégie plus “rationnelle” ». Mais WH n’expliquait jamais en quoi chercher une « stratégie plus rationnelle » pour l’impérialisme britannique constituait un problème. Dans d’autres cas, WH a fait des critiques pacifistes de Corbyn. L’article « Monarchie bananière » (WH n° 234, printemps 2016) l’a critiqué parce qu’il voulait supprimer Trident mais garder les sous-marins sans les ogives nucléaires ; l’article disait que « la classe ouvrière n’a aucun intérêt à maintenir la capacité militaire de la Grande-Bretagne capitaliste ou son armée ». Autrement dit, la politique de désarmement de Corbyn ne va simplement pas assez loin et devrait s’étendre à l’ensemble des forces armées.

Ces capitulations contrastent de façon frappante avec notre puissante dénonciation de la politique étrangère des travaillistes de gauche dans les années 1970 et 1980. Nous écrivions alors :

« Une “politique de défense non nucléaire” demeure une politique de défense de l’impérialisme britannique, comme l’a clairement dit Michael Meacher. Notre slogan doit être : L’ennemi principal est dans notre propre pays – c’est la classe capitaliste britannique ! Pas un sou, pas un homme pour l’armée des capitalistes ! À bas l’OTAN et son auxiliaire économique, la CEE ! Défense de l’Union soviétique contre la campagne de guerre impérialiste ! »

– « Chassez la cinquième colonne du SDP ! » (Spartacist Britain n° 52)

À cette époque, la SL/B dénonçait la politique étrangère des travaillistes de gauche, la qualifiant de pro-impérialiste, anticommuniste et totalement opposée aux intérêts de la classe ouvrière. Mais jamais, dans les pages récentes de WH, nous n’avons dit que la politique « non nucléaire » de Corbyn reste une politique pro-impérialiste, ce qui est pourtant élémentaire. Au lieu de cela, WH faisait des « critiques » superficielles, et souvent formulées de façon à échapper à l’attention du lecteur, de la politique étrangère de Corbyn ; ces critiques servaient de couverture de gauche aux principales illusions que lui et ses partisans pro-travaillistes alimentaient, à savoir que l’impérialisme britannique peut agir comme une force pacifique dans le monde et que le pillage économique et les guerres sont des politiques des blairistes et des conservateurs qu’on pourrait changer si Corbyn était élu Premier Ministre.

L’impérialisme n’est pas une politique. C’est le stade suprême du capitalisme, défini par la domination des monopoles et du capital financier, par la centralité de l’exportation du capital, et dans lequel la division du monde entre les monopoles et une poignée de puissances capitalistes est achevée. Le capital financier britannique (la City de Londres, les banques, trusts et monopoles britanniques) doit constamment trouver de nouveaux investissements, de nouveaux marchés et de nouvelles sources de matières premières, tout en garantissant et en défendant ceux qu’il a déjà. Pour cela, il entre en lutte contre les groupes financiers d’autres États pour rediviser le monde, lutte qui prend alternativement des formes « pacifiques » et non pacifiques. Sous l’impérialisme, le gouvernement est le comité exécutif du capital financier et l’État est son bras armé. Par conséquent, l’impérialisme britannique ne peut pas être administré de manière progressiste ou pacifique et ne peut être rien d’autre qu’une force pour la réaction, le pillage, l’asphyxie économique et les guerres impérialistes.

La politique « pacifique » et unilatérale de Corbyn et des travaillistes de gauche est ancrée dans la tradition du socialisme de la « petite Angleterre ». Sa préoccupation, c’est que la Grande-Bretagne capitaliste puisse jouer un rôle plus indépendant à l’échelle internationale et que certaines de ses dépenses en ogives nucléaires aillent plutôt aux services sociaux. Autrement dit, c’est un programme alternatif pour gérer le capitalisme britannique et son budget de la défense. Elle fait croire aux travailleurs que les guerres peuvent être éliminées avec des politiques différentes et que la Grande-Bretagne peut jouer un rôle pacifique en participant à des missions de l’ONU ou en envoyant de l’« aide » aux pays plus pauvres. C’est une tromperie visant uniquement à donner une couverture « humanitaire » au pillage du capital financier britannique. La politique étrangère des travaillistes de gauche est simplement la poursuite à l’étranger de leur programme national de « socialisme parlementaire », fondé sur l’illusion que l’on peut s’emparer de l’État capitaliste et le mettre au service des travailleurs et des opprimés. Lénine explique dans Le socialisme et la guerre (1915) :

« L’état d’esprit des masses en faveur de la paix exprime souvent le début d’une protestation, d’une révolte et d’une prise de conscience du caractère réactionnaire de la guerre. Tirer profit de cet état d’esprit est le devoir de tous les social-démocrates [comme les marxistes se dénommaient alors]. Ils participeront très activement à tout mouvement et à toute manifestation sur ce terrain, mais ils ne tromperont pas le peuple en laissant croire qu’en l’absence d’un mouvement révolutionnaire, il est possible de parvenir à une paix sans annexions, sans oppression des nations, sans pillage, sans que subsiste le germe de nouvelles guerres entre les gouvernements actuels et les classes actuellement dirigeantes. Tromper ainsi le peuple ne ferait que porter de l’eau au moulin de la diplomatie secrète des gouvernements belligérants et de leurs plans contre-révolutionnaires. Quiconque désire une paix solide et démocratique doit être partisan de la guerre civile contre les gouvernements et la bourgeoisie. »

Les vœux pieux de Corbyn et des pacifistes de la gauche travailliste qui veulent une politique étrangère de non-agression servent de couverture au viol et au pillage économique de milliards de personnes. C’est cela la réalité quotidienne de l’impérialisme en temps de « paix ». Les bourgeoisies impérialistes ont besoin de l’armée de leur État capitaliste national pour défendre leurs intérêts à l’intérieur du pays et à l’étranger. Parler de paix solide et de désarmement sans une série de révolutions socialistes victorieuses dans les centres impérialistes n’est qu’un mensonge pour tromper les travailleurs et les opprimés. Lorsque les pacifistes travaillistes préconisent le désarmement et condamnent le militarisme, la violence et les armes nucléaires, cela revient nécessairement à défendre le statu quo impérialiste. Contre ce type de tromperie bourgeoise, Trotsky écrivait dans le Programme de transition (1938) :

« “DÉSARMEMENT” ? Mais toute la question est de savoir qui désarmera et qui sera désarmé. Le seul désarmement qui puisse prévenir ou arrêter la guerre, c’est le désarmement de la bourgeoisie par les ouvriers. Mais, pour désarmer la bourgeoisie, il faut que les ouvriers eux-mêmes soient armés. »

Le pacifisme ne s’attaque pas principalement à l’appareil armé de l’État capitaliste, mais aux masses ouvrières ; c’est la violence des opprimés contre leurs oppresseurs dont les pacifistes ont horreur. Ils ne prendront jamais parti pour la défaite de leur « propre » gouvernement impérialiste dans un conflit armé. Dénoncer l’usage des armes et de la violence auprès de ceux qui sont désarmés et victimes de la violence de la bourgeoisie est complètement réactionnaire du point de vue de la classe ouvrière. C’est grâce au pacifisme des travaillistes de gauche Lansbury, Bevan, Foot, Benn, Corbyn et Cie que la Grande-Bretagne dispose à la fois d’une armée parmi les plus puissantes au monde et de lois en matière de contrôle des armes à feu parmi les plus strictes.

Se débarrasser de Trident ou se retirer de l’OTAN sont des possibilités dont la bourgeoisie impérialiste britannique refuse même de discuter. En tant que puissance impérialiste en déclin, l’impérialisme britannique n’a pas eu d’autre choix depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale que de compter sur son alliance avec les États-Unis pour maintenir son statut ; il soutient donc la plupart des interventions militaires américaines à l’étranger. Tout Premier Ministre qui appliquerait une politique mettant en danger les investissements britanniques à l’étranger, sa force de dissuasion nucléaire ou son alignement sur les États-Unis et l’OTAN serait, en toute probabilité, renversé par des moyens parlementaires ou extraparlementaires. Même le timide programme de Corbyn pour se débarrasser de Trident et remettre en question l’engagement de la Grande-Bretagne vis-à-vis de l’OTAN a suffi pour que des généraux éminents de l’armée britannique menacent ouvertement de le destituer. Il fallait effectivement défendre Corbyn contre ces menaces, mais WH l’a fait essentiellement en soutenant sa politique.

L’opposition travailliste de la SL/B à l’UE

Jusqu’à la pandémie, la question du Brexit avait dominé la vie politique britannique pendant des années. La position de la SL/B de voter « oui » au Brexit lors du référendum de 2016 était absolument correcte ; elle exprimait concrètement notre opposition à l’UE et c’était la seule position de principe pour les révolutionnaires. Cela dit, les arguments utilisés par la SL/B pour soutenir le Brexit et s’opposer à l’UE n’étaient pas fondés sur une opposition marxiste à l’impérialisme et à toutes les alliances impérialistes. Au lieu de cela, l’opposition de la SL/B à l’UE reposait sur une base travailliste de « petite Angleterre », c’est-à-dire qu’elle se fondait sur les politiques anti-ouvrières spécifiques de l’UE, et sur la recherche d’une stratégie différente pour l’impérialisme britannique.

Il y a plus de cent ans, Lénine avait défini la base marxiste sur laquelle nous devons nous opposer à l’UE :

« Certes, des ententes provisoires sont possibles entre capitalistes et entre puissances. En ce sens, les États-Unis d’Europe sont également possibles, comme une entente des capitalistes européens ... dans quel but ? Dans le seul but d’étouffer en commun le socialisme en Europe, de protéger en commun les colonies accaparées contre le Japon et l’Amérique. »

– « À propos du mot d’ordre des États-Unis d’Europe » (1915)

Le principe fondamental de Lénine ici est celui-là même que WH faisait disparaître et rejetait, à savoir : nous nous opposons à l’UE parce que nous sommes opposés à l’impérialisme. Il est bien sûr correct de dénoncer le pillage du prolétariat européen par l’UE, mais le principe déterminant pour les communistes – la raison pour laquelle nous disons que nous sommes contre l’UE « par principe » – repose non pas sur les politiques particulières de l’UE, mais sur le fait que l’UE est une alliance des impérialistes et de leurs victimes, et que pour les communistes, l’opposition à toutes les alliances impérialistes est une question de principe. Les coalitions de puissances impérialistes ne sont que des trêves entre deux guerres. Les alliances impérialistes « pacifiques » sont le produit des guerres et en préparent de nouvelles. L’affirmation élémentaire que nous nous opposons à l’UE parce que nous nous opposons à l’impérialisme britannique et à toutes ses alliances n’a jamais été faite dans les derniers numéros de WH.

La SL/B a souvent affirmé qu’elle s’opposait à l’UE « par principe », mais le « principe » en question était essentiellement que les « engagements fondateurs » et la politique de l’UE depuis sa création étaient hostiles aux travailleurs. WH a expliqué que l’UE est l’« ennemie des travailleurs et des immigrés », qu’elle « étrangle la Grèce » et que sa « libre circulation » est un mensonge (WH n° 243, automne 2018 – en français dans Le Bolchévik n° 226, décembre 2018) ; qu’elle sert à « s’attaquer aux emplois, aux salaires et aux conditions de vie des travailleurs dans toute l’Europe » (WH n° 244 – en français dans Le Bolchévik n° 227, mars 2019) ; qu’elle a été « fondée sur l’engagement à privatiser les industries nationalisées et à réduire les dépenses publiques consacrées aux services sociaux » (WH n° 246). Bien que tout cela soit vrai, ce n’est pas une opposition révolutionnaire de principe à l’impérialisme. Cela ne nous distingue pas des travaillistes de gauche, qui peuvent bien s’opposer à l’UE sur la base de sa politique anti-ouvrière, mais qui ne s’opposent pas par principe aux alliances impérialistes.

La façon dont la SL/B a traité l’UE offre un frappant contraste avec les articles fondateurs de notre mouvement tels que « Le mouvement ouvrier et le Marché commun » (Workers Vanguard n° 15, janvier 1973) et « La Grande-Bretagne et le Marché commun » (WV n° 71, 20 juin 1975). Ces deux articles avaient été écrits pour montrer que l’opposition léniniste à la CEE (Communauté économique européenne, prédécesseur de l’UE) et à toutes les puissances et alliances impérialistes se distingue fondamentalement de l’opposition réformiste à la CEE. « La Grande-Bretagne et le Marché commun » commence par ce qui pourrait être une polémique contre les récents numéros de WH :

« Il est important que les révolutionnaires s’opposent à l’adhésion britannique au Marché commun, mais il est tout aussi essentiel qu’ils le fassent pour les bonnes raisons. Il ne suffit pas de condamner l’opposition chauvine à “l’Europe”, il faut aller au-delà de l’argument des travaillistes de gauche fondé sur les désavantages économiques immédiats pour les travailleurs britanniques. Pour les communistes, l’opposition au Marché commun est une question de principe et non une question conditionnelle ou empirique. Nous sommes tout aussi opposés à la participation de l’Allemagne ou de la France qu’à l’adhésion de la Grande-Bretagne » (souligné par nous).

Nos articles récents condamnent l’opposition chauvine à l’UE et s’opposent à l’UE à cause des désavantages économiques immédiats qu’elle entraîne pour les travailleurs britanniques. Mais ce que WH n’a pas fait c’est justement de dépasser cela et présenter une opposition de principe à toutes les alliances impérialistes.

En voici un exemple clair : tout au long des années du Brexit, WH n’a jamais fait le lien entre l’opposition à l’UE et l’opposition à l’OTAN. Un axe fondamental de nos polémiques contre les travaillistes de gauche et la bureaucratie syndicale dans les années 1970 était précisément qu’ils refusaient de faire ce lien. Aujourd’hui comme hier, la campagne de la gauche travailliste contre la participation de la Grande-Bretagne au Marché commun accepte la nécessité d’alliances impérialistes conçues par les États-Unis. C’est pour cela qu’elle refuse de s’opposer à l’OTAN, ou encore qu’elle préconise des alliances impérialistes « progressistes » alternatives comme « l’Europe sociale ». Nous faisions remarquer dans « La Grande-Bretagne et le Marché commun » :

« Une campagne véritablement révolutionnaire contre le Marché commun doit agressivement faire le lien entre s’opposer à la CEE et s’opposer à toutes les autres alliances impérialistes, et elle doit démasquer le réformisme impuissant de la gauche travailliste : “Sortez du Marché commun ! Sortez de l’OTAN ! Expropriez la bourgeoisie – Pour un gouvernement ouvrier !” »

Au lieu de cela, les récents numéros de WH concentraient leur feu uniquement sur l’UE et ses politiques réactionnaires tout en faisant disparaître la question de l’opposition à toutes les alliances impérialistes et de l’opposition à l’impérialisme britannique.

S’opposer à l’UE de façon non léniniste, ce n’est pas simplement un problème de « formulations incorrectes ». C’est s’adapter au travaillisme et enterrer la ligne de classe entre s’opposer à l’impérialisme sur une base révolutionnaire et préconiser une politique alternative pour l’impérialisme britannique. Cette adaptation était très claire lorsque la SL/B a accordé un soutien « critique » à Corbyn lors de sa deuxième élection à la direction du Parti travailliste, juste après sa campagne en faveur du cartel impérialiste de l’UE. À l’époque, WH est allé jusqu’à prétendre que pour lutter contre l’impérialisme, il fallait soutenir Corbyn afin de vaincre les « blairistes bellicistes lors des prochaines élections à la direction » (WH n° 236).

L’adaptation au travaillisme se voit clairement aussi à la façon dont WH traite l’opposition de longue date à l’UE de la part des travaillistes de gauche. WH critiquait Corbyn pour avoir fait campagne pour rester dans l’UE, mais évoquait souvent aussi, sans la critiquer, « son opposition de longue date au projet de l’UE » (WH n° 244 – en français dans Le Bolchévik n° 227). Pas une fois dans ses numéros récents, WH n’a expliqué que l’opposition des travaillistes de gauche à l’UE a toujours été réformiste, c’est-à-dire fondée sur le nationalisme et sur l’opposition au fait que le Marché commun limite les interventions de l’État et les politiques sociales. WH n’a jamais expliqué qu’au cœur de l’hostilité du genre « petite Angleterre » à l’UE, il y avait toujours l’idée, fondée sur la collaboration de classes, que si l’impérialisme britannique suivait une voie en dehors du Marché commun, les travailleurs britanniques seraient mieux lotis.

Un autre aspect de l’opposition de la gauche travailliste à l’UE que nous n’avons jamais dénoncé dans les pages de WH, c’est son caractère conjoncturel. Pour les députés de l’arrière-ban, ou lorsque les travaillistes sont dans l’opposition, cela n’a jamais coûté cher de s’opposer à l’UE. Mais c’est tout autre chose de le faire en tant que chef du Parti travailliste qui cherche à administrer l’impérialisme britannique, c’est-à-dire lorsque cela implique concrètement d’être aux responsabilités. Corbyn a répudié son « opposition de longue date » à l’UE dès qu’il est devenu chef du Parti travailliste parce que cela représentait pour les blairistes une « ligne rouge » qu’il ne pouvait pas franchir sans provoquer une scission. Ce n’est rien de nouveau pour les chefs travaillistes : Harold Wilson, leader travailliste dans les années 1960 et 1970, a littéralement changé trois fois de position « pour » et « contre » la CEE, selon qu’il était au pouvoir ou dans l’opposition.

Tout en capitulant devant l’opposition travailliste à l’UE, WH s’adaptait également aux pressions libérales pro-UE en utilisant à plusieurs reprises le slogan « Pour une Europe ouvrière ! » Ce slogan est utilisé par toutes sortes de réformistes, qu’ils soient pour ou contre l’UE, comme l’Alliance for Workers’ Liberty ou No2EU. Dans la compréhension populaire, il n’y a pas de différence entre être pour une « Europe sociale » et être pour une « Europe ouvrière ». Cela sème l’illusion que l’on pourrait, d’une manière ou d’une autre, réformer l’UE pour en faire une alliance plus « progressiste », ou qu’il faudrait la remplacer par une nouvelle alliance impérialiste « pro-travailleurs ». Cette conférence rejette le slogan « Pour une Europe ouvrière » car c’est une capitulation opportuniste à ces illusions.

Cette conférence adopte le slogan historique du Comintern révolutionnaire des « États-Unis soviétiques d’Europe », auquel il faudrait ajouter « unis de leur plein gré ». Ce slogan, qui doit être associé à une opposition claire à l’UE, souligne explicitement qu’une unification progressiste de l’Europe ne peut être fondée que sur une succession de révolutions socialistes victorieuses. En faisant explicitement référence aux soviets, ce slogan se démarque nettement des libéraux pro-UE ainsi que des travaillistes anticommunistes qui pourraient s’opposer à l’UE. Ce slogan ne remplace pas notre appel historique « Pour des États-Unis socialistes d’Europe, unis de leur plein gré ! » On peut utiliser l’un ou l’autre de ces slogans.

Brexit : à la recherche d’une meilleure politique pour l’impérialisme britannique

Le vif débat qui a fait rage pendant des années sur le Brexit reflétait un désaccord au sein de la bourgeoisie sur la meilleure voie à suivre pour l’avenir de l’impérialisme britannique. Une aile des impérialistes voulait maintenir l’adhésion à l’UE, une autre voulait en sortir. Comme la SL/B n’avait pas tracé de ligne claire contre l’impérialisme britannique, contre toutes ses alliances et toutes les ailes des impérialistes britanniques, elle a fini par prendre simplement parti pour l’aile pro-Brexit de la bourgeoisie.

C’est particulièrement explicite dans l’article intitulé « Brexit tout de suite ! » dans WH n° 245 (été 2019 – en français dans Le Bolchévik n° 229, septembre 2019), où WH a tiré un trait d’égalité entre l’opposition à l’accord des conservateurs sur le Brexit, et l’opposition au Brexit lui-même. La polémique de cet article contre le Socialist Party est tout à fait explicite :

« L’éditorial de sa revue Socialism Today déclarait en mars 2018 que “le mouvement ouvrier doit maintenir une opposition de classe indépendante à un Brexit conservateur, qu’il soit ‘mou’, ‘dur’ ou ‘sans accord’”. Ceci équivaut à s’opposer au Brexit quand la question est réellement posée. Pour paraphraser la Reine blanche de Lewis Carroll, c’est le Brexit demain et le Brexit hier, mais jamais le Brexit aujourd’hui. »

C’est une polémique venant de droite. La position implicite défendue ici par WH est que les marxistes doivent, au nom du « Brexit tout de suite », soutenir tout accord sur le Brexit conclu par les conservateurs, ce qui revient à les soutenir politiquement.

Ce soutien à un Brexit conservateur « dur » contre le Parti travailliste et ses auxiliaires qui voulaient rester dans l’UE reflétait un changement dans la société, en particulier dans la base électorale du Parti travailliste. En l’absence d’un pôle ouvrier indépendant contre l’UE, les élections de 2019 ont vu plus d’un million d’anciens électeurs travaillistes (en particulier dans les régions du « red wall » dans les Midlands et le Nord de l’Angleterre qui votent traditionnellement pour le Parti travailliste) voter pour les conservateurs parce qu’ils voyaient cela comme la seule façon de sortir de l’UE.

Le SP n’avait pas tort de dire que les travailleurs doivent maintenir « une opposition de classe indépendante à un Brexit conservateur, “mou”, “dur” ou “sans accord”. » Mais ils étaient pour une « sortie de gauche » négociée par Corbyn, ce qui est aussi une trahison totale du prolétariat. Tout accord sur le Brexit, qu’il soit « mou » ou « dur », conservateur ou travailliste, reflétera forcément les rapports de forces entre les impérialistes, fixant les termes de leur concurrence et de leurs sphères d’influence et répartissant le butin de l’exploitation du prolétariat en Europe et en Grande-Bretagne.

Du point de vue de la classe ouvrière, soutenir un accord sur le Brexit quel qu’il soit est totalement réactionnaire et pro-impérialiste. Il est tout aussi réactionnaire de poser des conditions à la sortie immédiate de la Grande-Bretagne de l’UE car cela revient à rejeter l’opposition inconditionnelle à toute alliance impérialiste. Contre le programme anti-ouvrier des conservateurs, contre la trahison des travaillistes et contre les pseudo-socialistes qui mettent en avant une politique alternative dans le cadre de leur soutien à l’impérialisme britannique, il est évident que la tâche des révolutionnaires était d’opposer un programme de lutte ouvrière pour forcer la Grande-Bretagne à sortir de l’UE immédiatement et utiliser la crise gouvernementale sur le Brexit pour faire avancer la révolution prolétarienne.

La capitulation de la SL/B face au Brexit conservateur montre également à quoi mène l’abandon d’une perspective prolétarienne contre l’impérialisme. L’article « Brexit tout de suite ! » fait remarquer : « La crise prolongée du gouvernement conservateur a créé une situation favorable à des luttes de la classe ouvrière, qui pourraient aussi pousser la Grande-Bretagne hors de l’UE » (souligné par nous). La mobilisation des travailleurs en lutte contre la bourgeoisie britannique et toutes ses alliances impérialistes est présentée dans WH comme une hypothèse abstraite. Mais c’était justement cela la tâche urgente des révolutionnaires !

Nous aurions dû nous battre pour annuler la dette des pays opprimés, pour renverser les privatisations, pour supprimer toutes les lois antisyndicales, pour des bonnes retraites, suffisantes et à un âge décent, afin de contrer la destruction des régimes de retraite à travers l’Europe, etc. Sur toutes ces questions, la bourgeoisie britannique a travaillé de concert avec l’UE. Une telle perspective, liée aux revendications d’un gouvernement ouvrier et des États-Unis soviétiques d’Europe, unis de leur plein gré, aurait lié les besoins économiques immédiats des travailleurs – en Grande-Bretagne et dans toute l’Europe – à la nécessité urgente de lutter contre l’impérialisme. Même si la Grande-Bretagne est maintenant officiellement hors de l’UE, cette perspective révolutionnaire est toujours absolument nécessaire.

V. Un réformisme très britannique

Le socialisme parlementaire

Un aspect central de la capitulation de la SL/B vis-à-vis de Corbyn a été la conciliation de son programme réformiste de socialisme parlementaire. Notre principale critique à son égard était que « les revendications avancées par Corbyn pendant sa campagne sont dignes de soutien, mais elles ne sont pas réalisables au moyen du parlementarisme travailliste à l’ancienne » (WH n° 232 – en français dans Le Bolchévik n° 213, septembre 2015). Cela présente la différence entre réforme et révolution comme une simple différence sur les moyens d’atteindre le même objectif. Workers Hammer n’a jamais dit clairement que le programme de Corbyn n’était pas seulement malavisé ou erroné, mais que c’était un programme procapitaliste qui sert à tromper la classe ouvrière et à maintenir la bourgeoisie au pouvoir. Comme l’expliquait Rosa Luxemburg :

« Quiconque se prononce en faveur de la réforme légale, au lieu et à l’encontre de la conquête du pouvoir politique et de la révolution sociale, ne choisit pas en réalité une voie plus paisible, plus sûre et plus lente conduisant au même but ; il a en vue un but différent : au lieu de l’instauration d’une société nouvelle, il se contente de modifications superficielles apportées à l’ancienne société. »

Réforme sociale ou révolution ? (1898-1899)

La principale illusion dans Corbyn était que s’il était élu Premier Ministre, il mettrait en œuvre des réformes majeures dans l’intérêt de la classe ouvrière. La gauche pseudo-marxiste soutenait que même si l’élection de Corbyn ne mènerait probablement pas immédiatement au socialisme, il pourrait tout de même, sous la pression, transformer le Parti travailliste en un « véritable parti socialiste » et introduire des « politiques socialistes ». Contre cela, la tâche des révolutionnaires était de montrer que quelle que soit la pression exercée, le programme procapitaliste de Corbyn l’amènerait nécessairement à faire le jeu des capitalistes et à trahir les intérêts de la classe ouvrière. WH n’a jamais fait cet argument élémentaire. L’objectif de la tactique de soutien critique est précisément de montrer la validité du programme bolchévique en mettant en garde à tout moment « contre les trahisons inévitables et en leur opposant notre programme pour le pouvoir ouvrier » (« Les révolutionnaires et le Parti travailliste »). Mais, tout en parlant des crimes de « tous les gouvernements travaillistes précédents », WH a toujours gardé la porte ouverte à l’illusion que sous Corbyn il pourrait en être autrement.

L’État capitaliste est constitué de corps spéciaux d’hommes armés dont la raison d’être est de défendre par la violence la domination de la bourgeoisie sur le prolétariat. L’État capitaliste britannique – ses flics, son armée, ses prisons et ses tribunaux – ne peut être utilisé que pour défendre les intérêts du capital financier britannique : accroître ses profits, défendre ses frontières, protéger ses intérêts à l’étranger, réprimer les grèves et dresser les opprimés les uns contre les autres. L’argument léniniste qu’il faut opposer à Corbyn et ses fans de gauche est que la plate-forme électorale d’un parti ouvrier peut être aussi « radicale » que l’on veut, lorsqu’il est élu pour gouverner l’État capitaliste ce n’est pas un gouvernement ouvrier. C’est un parti ouvrier administrant la dictature de la bourgeoisie ; il attaquera nécessairement la classe ouvrière et défendra la bourgeoisie. WH a capitulé devant la conception que le Parti travailliste serait un moindre mal en n’avançant jamais cet argument élémentaire ; il critiquait au contraire le Parti travailliste parce que celui-ci ne donnait pas assez de réformes et qu’il « freinait » la lutte pour de telles réformes. Ainsi, lorsque WH affirme que diriger l’État capitaliste dans l’intérêt de la classe ouvrière est « impossible » et que c’est une « stratégie perdante », il ne s’agissait que d’une façade pour promouvoir l’illusion que l’on pourrait faire pression sur le Parti travailliste gouvernant l’État capitaliste pour qu’il défende les intérêts de la classe ouvrière.

WH a beau citer Marx, qui expliquait que « la classe ouvrière ne peut pas se contenter de prendre telle quelle la machine de l’État et de la faire fonctionner pour son propre compte » (La guerre civile en France, 1871), cela n’a aucune signification puisque tout le cadre de la propagande de la SL/B consistait à promouvoir les illusions dans Corbyn comme moindre mal. Pour les marxistes, la seule raison pour laquelle il serait préférable que l’État capitaliste soit dirigé par un gouvernement travailliste de gauche, c’est que ce serait l’occasion de démontrer la faillite du réformisme parlementaire.

La principale illusion de la gauche réformiste britannique, c’est que l’on peut instaurer le socialisme pacifiquement par le biais du Parlement. Au début de la direction Corbyn, WH avait réagi à ces illusions en critiquant de façon purement libérale la démocratie bourgeoise :

« L’idée que le socialisme peut être réalisé par le Parlement repose sur l’illusion que les exploiteurs et les exploités, les riches et les pauvres, les oppresseurs et les opprimés, ont tous un droit de vote égal sur la façon dont la société est gérée. Mais ce ne sont pas les travailleurs et les minorités qui dominent les médias, l’économie, ou d’ailleurs les flics, les tribunaux et l’armée. »

– « Raz-de-marée pour Corbyn, contrecoup blairiste », WH n° 232

Plus récemment, la propagande de la SL/B a camouflé ce libéralisme en déclarant qu’il faut « briser le pouvoir de la bourgeoisie » et « balayer l’appareil répressif de l’État capitaliste et établir un État ouvrier » (WH n° 246). Cependant, à aucun moment WH n’a fait l’argument marxiste le plus élémentaire que la bourgeoisie ne se laissera pas chasser pacifiquement du pouvoir par des élections. Comme l’expliquait Trotsky, « la majorité ouvrière au parlement peut être détruite si la force armée est entre les mains de la bourgeoisie. Celui qui ne comprend pas cela n’est pas un socialiste mais un crétin » (lettre du 25 décembre 1925 – traduit par nos soins). Contre le programme réformiste pour une majorité travailliste au Parlement, les communistes se battent pour un gouvernement ouvrier basé sur des soviets, c’est-à-dire le prolétariat armé organisé comme classe dominante.

Il y a une constante dans toute la propagande récente de la SL/B, de ses expressions les plus libérales à ses expressions les plus centristes : on ne dit jamais que la bourgeoisie utilisera la violence pour défendre son pouvoir, et que la classe ouvrière doit utiliser la force pour se défendre et établir son propre pouvoir. Dans La révolution prolétarienne et le renégat Kautsky (1918), Lénine expliquait :

« Si l’on raisonne en marxiste, on est obligé de dire : les exploiteurs transforment inévitablement l’État (or, il s’agit de la démocratie, c’est-à-dire d’une des formes de l’État) en un instrument de domination de leur classe, celle des exploiteurs, sur les exploités. C’est pourquoi l’État démocratique lui aussi, tant qu’il y aura des exploiteurs exerçant leur domination sur la majorité, les exploités, sera inévitablement une démocratie pour les exploiteurs. L’État des exploités doit être foncièrement distinct d’un tel État ; il doit être une démocratie pour les exploités et réprimer les exploiteurs ; or, la répression d’une classe signifie l’inégalité de cette classe, son exclusion de la “démocratie”. »

WH a expliqué à maintes reprises que le système parlementaire est une façade démocratique pour la dictature de la classe capitaliste, et qu’il fallait un État ouvrier basé sur la démocratie soviétique. Cependant, un seul article – qui ne parle pas de Corbyn (« L’enfer des prisons britanniques », WH n° 244) – explique la raison fondamentale pour laquelle la révolution nécessite d’établir un État ouvrier : pour réprimer la résistance de la bourgeoisie. Si l’on omet les points programmatiques fondamentaux que la bourgeoisie ne se laissera pas chasser pacifiquement du pouvoir par des élections et que le but d’un État ouvrier est de briser la résistance de la bourgeoisie, cela revient à capituler devant les illusions que le socialisme peut être réalisé pacifiquement par le Parlement, au lieu de les démasquer.

Le réformisme syndical

La capitulation de la SL/B devant le socialisme parlementaire et devant la politique du « moindre mal » du travaillisme de gauche allait forcément de pair avec une capitulation devant le programme réformiste britannique classique de pression sur le Parti travailliste par le biais de la combativité syndicale. WH critiquait la direction actuelle des syndicats parce qu’elle avait « passé des décennies à isoler et à contenir les grèves tout en détournant la colère des travailleurs vers les illusions dans l’UE et vers la stratégie perdante d’élire un gouvernement travailliste » (WH n° 246), parce qu’elle avait limité les luttes « à des manifestations et des grèves locales de courte durée » (WH n° 242, été 2018) et parce qu’elle avait encouragé les illusions dans la « paix sociale avec les patrons » (WH n° 238). Cependant, au lieu d’opposer sur chacune de ces questions un programme basé sur les principes marxistes sur l’État, l’impérialisme et l’indépendance de classe, WH s’est contenté de prôner un syndicalisme plus combatif.

Autrement dit, WH a abandonné la construction d’une opposition révolutionnaire dans les syndicats, tâche pourtant indispensable pour scissionner le Parti travailliste. Comme le disait l’article « Les révolutionnaires et le Parti travailliste », « étant donné que le Parti travailliste a sa base organique dans les syndicats, on ne pourra pas en fin de compte le scissionner sans une lutte politique victorieuse contre la bureaucratie syndicale procapitaliste. »

La désindustrialisation, les attaques capitalistes et les décennies de coups de poignard dans le dos de la part des directions syndicales ont affaibli et démoralisé la classe ouvrière britannique. Dans ce contexte, la SL/B a réduit sa perspective envers les syndicats simplement à la lutte pour davantage de combativité syndicale. Dans Que faire ? (1902), Lénine avait souligné qu’il n’y a pas besoin d’être communiste pour appeler à des luttes économiques plus combatives – pour donner « à la lutte économique elle-même un caractère politique ». La question cruciale, c’est de lier la lutte pour les besoins économiques les plus immédiats de la classe ouvrière à la nécessité de renverser le pouvoir de la classe capitaliste. Il expliquait :

« La social-démocratie dirige la lutte de la classe ouvrière, non seulement pour obtenir des conditions avantageuses dans la vente de la force de travail, mais aussi pour l’abolition de l’ordre social qui oblige les non-possédants à se vendre aux riches. La social-démocratie représente la classe ouvrière dans ses rapports non seulement avec un groupe donné d’employeurs, mais aussi avec toutes les classes de la société contemporaine, avec l’État comme force politique organisée. Il s’ensuit donc que les social-démocrates ne peuvent se limiter à la lutte économique, mais aussi qu’ils ne peuvent admettre que l’organisation des divulgations économiques constitue le plus clair de leur activité. Nous devons entreprendre activement l’éducation politique de la classe ouvrière, travailler à développer sa conscience politique. »

L’époque réactionnaire postsoviétique et le faible niveau de lutte de classe en Grande-Bretagne ne changent pas les tâches fondamentales des communistes à l’égard des syndicats.

Seules des directions syndicales basées sur un programme révolutionnaire sont capables de transcender les intérêts sectoriels étroits d’une industrie, d’un syndicat ou d’un pays particulier et de mener des combats qui feront avancer les intérêts de la classe ouvrière dans son ensemble. Pour cela, il faut démasquer le programme de collaboration de classes de la direction actuelle des syndicats et la version plus combative de ce même programme mise en avant par la gauche réformiste. Un programme limité à des revendications syndicales, aussi « combatif » soit-il, est fondé sur le maintien de la classe capitaliste au pouvoir. Il est donc forcément réformiste, puisqu’il cherche uniquement à négocier de « meilleures conditions pour la vente de la force de travail ». En outre, comme l’expliquait Trotsky à propos des syndicats à l’époque de la décadence impérialiste :

« Ils ne peuvent pas être plus longtemps réformistes, parce que les conditions objectives ne permettent plus de réformes sérieuses et durables. Les syndicats de notre époque peuvent ou bien servir comme instruments secondaires du capitalisme impérialiste pour subordonner et discipliner les travailleurs et empêcher la révolution, ou bien au contraire devenir les instruments du mouvement révolutionnaire du prolétariat. »

– « Les syndicats à l’époque de la décadence impérialiste » (1940)

S’opposer à la bureaucratie syndicale uniquement sur la base de son manque de combativité efface la ligne fondamentale entre politique révolutionnaire et politique réformiste. Cela conduit donc inévitablement à un bloc politique avec une aile ou une autre de la bureaucratie syndicale. Une opposition de ce genre s’effondre sur-le-champ lorsque les chefs syndicaux mènent des actions combatives – ce qu’ils sont parfois obligés de faire, comme on l’a vu avec la grève des mineurs britanniques de 1984-1985. On peut faire pression sur la bureaucratie syndicale pour qu’elle lutte, mais quelle que soit la pression qu’on exerce cela ne changera pas son programme procapitaliste ni le rôle réactionnaire qu’elle joue en tant qu’agent de la bourgeoisie dans la classe ouvrière. Contrairement au programme réformiste de faire pression sur la direction existante des syndicats, les trotskystes luttent pour la remplacer par une direction révolutionnaire. Pour ce faire, notre perspective est de construire des fractions basées sur l’intégralité du programme de transition, y compris l’appel à un gouvernement ouvrier.

Programme minimum/maximum :
la SL/B a coupé les ponts

Les révolutionnaires doivent montrer concrètement que le seul moyen de satisfaire les besoins des travailleurs, c’est de renverser la bourgeoisie et de démasquer les tromperies des réformistes qui prétendent le contraire. La SL/B n’a fait ni l’un ni l’autre et a parfois explicitement encouragé l’idée que le capitalisme en décomposition peut fournir des soins de santé décents et satisfaire les besoins des travailleurs si on fait suffisamment pression. L’article « Le capitalisme est un danger pour votre santé » (WH n° 242) est un exemple particulièrement explicite du réformisme de la SL/B :

« Des services de santé de qualité, gratuits pour l’usager ; des soins de première qualité pour les enfants et les personnes âgées fournis par le gouvernement ; des écoles, des programmes de formation professionnelle et des logements excellents – satisfaire les besoins fondamentaux de la population nécessite des investissements massifs. La bourgeoisie a empoché d’énormes richesses grâce à son exploitation des travailleurs. Mais elle ne lâchera jamais rien sans qu’on ne se batte. C’est en menant une lutte de classe acharnée, pas en implorant [le Parlement à] Westminster, que l’on pourrait convaincre la bourgeoisie de financer le NHS. »

Les travailleurs peuvent certes obtenir des gains partiels et réversibles sous le capitalisme. Mais pour « satisfaire les besoins fondamentaux de la population », la question n’est pas de faire pression sur la classe capitaliste britannique en déclin pour qu’elle consacre plus d’argent au système de santé ; il faut une révolution prolétarienne.

Une lutte de classe acharnée pourrait effectivement convaincre la bourgeoisie d’investir davantage dans les services publics. Comme toute classe au pouvoir confrontée à une flambée de lutte ouvrière, elle peut faire des concessions sous la pression lorsqu’elle considère cela comme un « moindre mal » face à une révolution sociale. Dans Les leçons d’Octobre (1924), Trotsky expliquait quelle attitude doivent avoir les révolutionnaires concernant la pression sur la bourgeoisie :

« Est-ce qu’un parti révolutionnaire renonce à exercer une “pression” sur la bourgeoisie et son gouvernement ? Non, cela va de soi. Faire pression sur le gouvernement bourgeois est un moyen d’obtenir des réformes. Un parti marxiste révolutionnaire ne renonce pas aux réformes. Mais la voie des réformes convient aux questions secondaires, pas à celles qui sont essentielles. On ne peut obtenir le pouvoir au moyen de réformes. On ne peut, par des “pressions”, forcer la bourgeoisie à changer sa politique dans une question dont dépend son sort. »

Le problème de la propagande récente de la SL/B, tout comme de celle de la gauche réformiste britannique, c’est qu’elle préconisait uniquement et exclusivement de faire pression sur la bourgeoisie pour obtenir de telles concessions. C’est rejeter le Programme de transition et accepter le programme minimum de la IIe Internationale.

Lorsque WH mentionne le socialisme (le programme maximum), c’est soit pour le présenter comme une perspective abstraite et lointaine, soit pour capituler ouvertement devant le programme du « socialisme parlementaire » de la gauche britannique. Par exemple, dans « Le capitalisme est un danger pour votre santé » :

« Les géants pharmaceutiques se font des milliards en utilisant leurs brevets monopolistiques pour exiger des prix exorbitants. Ce chantage soulève immédiatement la question d’exproprier l’industrie pharmaceutique, ce qui représenterait un pas vers le renversement de l’ensemble du système capitaliste basé sur l’accumulation de profits » (souligné par nous).

Présenter ainsi l’expropriation de la bourgeoisie comme un processus graduel reflète le programme du réformisme britannique : le socialisme en nationalisant peu à peu les secteurs stratégiques de l’économie au Parlement de Sa Majesté. Les révolutionnaires ne sont pas contre appeler à l’expropriation d’industries spécifiques. Cependant, quand nous le faisons, comme l’expliquait Trotsky dans le Programme de transition, 1) nous rejetons l’indemnisation ; 2) nous le faisons tout en dénonçant les réformistes et les travaillistes qui prétendent être pour la nationalisation de l’économie, mais qui défendent en réalité l’ordre capitaliste ; 3) nous ne comptons pas sur l’obtention d’une majorité dans le moulin à paroles bourgeois de Westminster, mais sur la mobilisation révolutionnaire du prolétariat ; 4) nous relions la question des expropriations à celle de la prise du pouvoir par les travailleurs.

Contre le programme minimum qui limitait les objectifs et les activités de la classe ouvrière à l’obtention de réformes, la IIIe Internationale (Comintern) a rompu résolument dès sa fondation avec la division entre programme minimum et maximum. Elle a établi que la tâche de l’avant-garde communiste est de lutter pour le renversement de la classe capitaliste grâce à la mobilisation du prolétariat pour ses intérêts les plus élémentaires. Les revendications transitoires doivent être utilisées comme outils pour mobiliser la classe ouvrière dans la lutte révolutionnaire, pour dénoncer la faillite de la social-démocratie et motiver la nécessité d’une révolution ouvrière. Le Programme de transition de la IVe Internationale représentait cette continuité contre le Comintern stalinisé.

Substituer le programme minimum/maximum au programme de transition, comme l’a fait la SL/B, c’est l’essence même du réformisme. Dans la période de la décadence impérialiste, où il ne peut être question de réformes sociales systématiques ni de l’élévation du niveau de vie des masses, avancer un programme pour satisfaire les besoins immédiats des masses en le séparant du combat pour la dictature du prolétariat est non seulement impossible, mais réactionnaire. La SL/B a été fondée en défense du Programme de transition contre sa déformation opportuniste par la WSL et les autres pseudo-trotskystes en Grande-Bretagne. Il est essentiel de défendre et de se réapproprier cette continuité programmatique.