Alors que la guerre en Ukraine fait rage depuis bientôt deux ans, nos camarades britanniques de la Spartacist League/Britain (SL/B) ont organisé un débat avec la Bolshevik Tendency (BT) à Birkbeck (Université de Londres) le 11 novembre afin de mettre en lumière ce que doit être une réponse révolutionnaire au conflit. Le meeting a attiré quelques dizaines de personnes, pour la plupart membres et partisans de la SL/B, de la BT, de l’International Bolshevik Tendency (qui s’est séparée de la BT il y a quelques années) et du groupe Platypus. Pour quiconque s’intéresse à la question de savoir ce que les marxistes doivent en réalité faire pour faire avancer un programme révolutionnaire dans la guerre (et pour quiconque tout court), il est clair que les spartacistes ont gagné haut la main lors du débat.
Dans sa présentation pour la SL/B (reproduite ci-après, revue pour publication), le rédacteur en chef de Workers Hammer Vincent David a défendu une orientation révolutionnaire prolétarienne en expliquant pourquoi les travailleurs ukrainiens et russes doivent retourner leurs fusils contre leurs propres dirigeants et comment les marxistes se battent contre les obstacles à la mobilisation des travailleurs contre l’impérialisme. Tom Riley, qui a pris la parole le premier pour défendre le soutien de la BT à la Russie, a vendu la mèche : « Malheureusement, il est très improbable que l’OTAN soit vaincue par un mouvement de travailleurs russes et ukrainiens insurgés ayant une conscience de classe, bien que, j’en suis sûr, ce soit ce que nous voudrions tous voir. » Donc la révolution, c’est bien, mais on ne va pas se battre pour maintenant. Voilà qui a scellé le débat. (Le lecteur peut observer l’intégralité du débat sur YouTube et lire la présentation de Riley sur bolsheviktendency.org.)
Le camarade David a mis au défi la BT de façon répétée. Mais Riley et ses camarades, sans jamais lui répondre, cherchaient à déplacer le terrain sur des divergences vieilles de dizaines d’années et sur le soi-disant « bureaucratisme » de la LCI. Cela n’a fait que démasquer la BT, qui juge une organisation révolutionnaire non pas d’après sa capacité à mener la lutte de la classe ouvrière face à des événements clés mais d’après sa capacité à manier un « marxisme » formaliste indépendamment de la lutte de classe et d’après la manière dont des divergences politiques internes ont été réglées il y a un demi-siècle.
La discussion lors du meeting et ensuite au pub a marqué une rupture avec la pratique passée de la LCI d’éviter le débat avec la BT (et avec d’autres). Notre but est de promouvoir le débat politique afin de regrouper les forces pour la révolution internationale, qui sont actuellement minuscules et isolées. Cette perspective a été tracée à la Huitième Conférence internationale de la LCI l’été dernier, où nous avons dû réévaluer de façon critique notre histoire pour élaborer un programme trotskyste pour aujourd’hui (voir Spartacist édition en français n° 46, novembre 2023). Il est clair que la BT était furieuse que nous insistions sur le fait que nous n’étudions l’histoire que dans la mesure où cela nous aide à construire une internationale révolutionnaire ici et maintenant. Pour ce qui est du débat, cela dit vraiment tout.
Tom, comme tant d’autres, ne voit dans notre récente correction que matière à considérer le passé. Il n’a pas tort de dire que beaucoup de nos articles [sur l’Ukraine] à partir de 2014 étaient plus proches de sa position, donc je ne vais pas les défendre aujourd’hui. Mais je pense qu’il n’a pas compris la véritable nature de notre position ni ce qu’il y avait de vraiment erroné dans ces articles de 2014. Il y a une phrase qui dit que bon, il n’y a pas de parti révolutionnaire en Ukraine ni en Russie, donc aucune perspective révolutionnaire n’est possible [c’est une référence à « L’impérialisme occidental derrière la répression sanglante en Ukraine », Le Bolchévik n° 208, juin 2014]. C’est quelque chose que tu as reflété dans ta présentation, donc ce sera ça ma réponse.
Le point de départ essentiel pour les marxistes concernant la guerre en Ukraine, et tu nous cites, doit être que c’est le système impérialiste lui-même, défini aujourd’hui par l’ordre libéral dominé par les États-Unis, qui en est responsable. Par conséquent, même si ce débat a pour titre « Guerre en Ukraine : Quelle stratégie pour les marxistes ? », la vraie question est : quelle stratégie pour vaincre l’impérialisme ?
Dans la guerre en Ukraine, nous, Spartacist League, ne sommes pas neutres : nous appelons les travailleurs et les soldats ukrainiens et russes à fraterniser, à retourner leurs fusils contre leur propre classe dirigeante, dans le but de transformer cette guerre réactionnaire entre nations en guerre civile contre les classes dirigeantes. Et en Occident nos modestes forces luttent pour que le mouvement ouvrier engage des actions contre les gouvernements impérialistes, et nous menons un combat incessant contre les dirigeants pro-impérialistes du mouvement ouvrier ainsi que contre ses imposteurs pacifistes dans le but de construire une direction anti-impérialiste et révolutionnaire de la classe ouvrière.
Donc pour nous la pierre angulaire de toute stratégie pour vaincre l’impérialisme, c’est de mettre en avant pour le prolétariat une voie indépendante de lutte contre les impérialistes et contre toutes les forces bourgeoises, afin de faire avancer la lutte pour le pouvoir ouvrier. Cela va être le sujet de ma présentation, et ce que vous n’avez pas encore entendu jusqu’à présent, je pense.
La Bolshevik Tendency, elle, a pour stratégie pour vaincre l’impérialisme de soutenir une victoire de l’armée russe contre l’Ukraine. Ce que je vais démontrer dans cette présentation, c’est que cette position est réactionnaire et constitue un obstacle à la construction d’une opposition ouvrière et révolutionnaire à l’OTAN et à l’impérialisme américain. Et je vais démontrer aussi comment l’approche de la BT par rapport à cette guerre capitule complètement devant les dirigeants pro-impérialistes de la classe ouvrière.
La nature de la guerre et la méthode marxiste
Commençons par la nature de la guerre, c’est-à-dire ses enjeux. La position de la BT est basée sur le fait que puisque la Russie n’est pas impérialiste, et puisque l’Ukraine est soutenue par les puissances impérialistes, donc la Russie mène une guerre justifiée de défense nationale contre l’impérialisme, et une défaite de l’Ukraine serait une défaite pour les impérialistes. Superficiellement, ça pourrait sembler logique. Sauf que toute cette construction s’écroule au premier contact avec la réalité.
Pour commencer, l’enjeu de la guerre actuelle n’est pas le démembrement ou la balkanisation de la Russie. Tout le monde sait que la Russie ne se bat pas pour défendre sa souveraineté nationale contre une invasion impérialiste. L’enjeu de cette guerre n’est pas de savoir qui va contrôler la Russie. C’est de savoir qui va contrôler l’Ukraine. D’un côté, le gouvernement ukrainien se bat pour que l’Ukraine reste sous la botte de l’OTAN, de l’UE et des États-Unis. De l’autre côté, la Russie se bat pour absorber l’Ukraine dans sa propre sphère d’influence. Par conséquent, c’est une guerre pour savoir quelle bande de voleurs, ceux de la Maison-Blanche ou ceux du Kremlin, exploitera et dominera l’Ukraine. Et au nom de la lutte contre l’impérialisme, la BT soutient simplement l’une des bandes de voleurs contre l’autre.
Deuxièmement, le fait que cette guerre est une guerre par procuration entre la Russie et les États-Unis ne signifie pas que les marxistes devraient simplement soutenir la Russie. Les États-Unis soutiennent toutes sortes de régimes aux quatre coins du monde. Les marxistes ne soutiennent pas simplement n’importe lequel de leurs adversaires. La BT efface toute différence entre une guerre par procuration et une guerre impérialiste contre la Russie. Pour eux, c’est une différence secondaire, une nuance. Mais quiconque réfléchit un instant voit qu’il y a évidemment une différence fondamentale entre des livraisons d’armes à l’Ukraine par l’OTAN, et le bombardement des villes russes et l’invasion de la Russie par l’OTAN. Penser qu’il en est autrement ne peut que vous déboussoler totalement. Le jour où les États-Unis, le Royaume-Uni et l’OTAN déclareront la guerre à la Russie, cela changera fondamentalement la nature de la guerre ; elle cessera d’être un conflit régional pour le contrôle de l’Ukraine et deviendra une guerre impérialiste majeure pour écraser la Russie. Et croyez-moi, il ne sera pas nécessaire d’aller écouter des débats sur la « décolonisation de la Russie ». Ça sera clair pour tout le monde.
Troisièmement, là où la BT paraît avoir un argument convainquant, c’est quand ils disent qu’une défaite de l’Ukraine porterait un coup aux impérialistes et que, puisque les révolutionnaires sont pour porter des coups à l’impérialisme, on doit donc soutenir la Russie. C’est une méthode qui consiste à mettre un signe « + » là où le ministère des Affaires étrangères met un signe « – ». L’avantage de cette méthode, c’est qu’on n’a pas besoin de réfléchir. Le désavantage, c’est que ça n’a rien à voir avec la réalité vivante de la lutte des classes, et par conséquent rien à voir avec le marxisme. Il n’est tout simplement pas vrai que tout coup porté aux impérialistes fasse automatiquement avancer les intérêts de la classe ouvrière.
Voici comment les marxistes doivent au contraire aborder la question : ce qui définit l’époque actuelle, et le contexte dans lequel se déroule la guerre en Ukraine, c’est le déclin de l’hégémonie américaine. Un nombre croissant de forces cherchent à tirer parti de ce déclin. Donc toute la question pour les marxistes, toute la question pour notre époque, c’est : ce déclin va-t-il prendre la forme d’une spirale de crises, de réaction et de guerres, comme nous le voyons maintenant ? Ou ce déclin fera-t-il avancer les intérêts de la classe ouvrière, autrement dit avancer la cause du socialisme ? Mais cette deuxième option n’est pas un fait acquis. Il faut pour cela mobiliser le prolétariat comme force indépendante en lutte, armée d’une direction révolutionnaire.
Voilà ce que la méthode simpliste et la pratique géopolitique de la BT escamote. Le programme marxiste ne repose pas sur un soutien aveugle aux « coups » portés à l’impérialisme, mais sur la compréhension que la seule manière de porter un coup décisif et progressiste à l’impérialisme, c’est la révolution ouvrière. Par conséquent, toute approche marxiste de la guerre en Ukraine et toute stratégie marxiste contre l’impérialisme doivent reposer sur l’exacerbation de la lutte de classe et sur le renforcement de l’unité du prolétariat international ; elles doivent faire avancer la lutte pour la révolution socialiste.
Mais tout cela est complètement étranger à la BT ; sa stratégie pour lutter contre l’impérialisme repose non pas sur la lutte révolutionnaire de la classe ouvrière mais sur une victoire de la Russie en Ukraine. Pour mieux comprendre comment cette position est complètement antimarxiste et carrément chauvine, il suffit de réfléchir à ce que signifie dans le monde réel soutenir la Russie. C’est quelque chose que les articles de la BT, qui sont remplis d’abstractions théoriques et de citations et qui mentionnent rarement le prolétariat, n’expliquent jamais. Donc je vais le faire à leur place.
Le caractère réactionnaire d’une position prorusse
D’après la position de la BT, la tâche des travailleurs ukrainiens est de soutenir l’armée russe et de tout faire pour faciliter l’invasion de leur propre pays. Autrement dit, les travailleurs ukrainiens sont censés applaudir leur propre oppression nationale par les oligarques russes. L’oppression nationale de l’Ukraine n’est aucunement dans l’intérêt de la classe ouvrière internationale. Les travailleurs ukrainiens n’accepteront jamais cette position, qui ne peut que contribuer à discréditer le communisme en Ukraine et à pousser les travailleurs dans les bras de Zelensky, des misérables nationalistes ukrainiens et des puissances impérialistes.
Et les travailleurs russes ? La position de la BT, c’est de leur dire qu’ils doivent soutenir l’effort de guerre du gouvernement russe. Cela signifie que la BT dénonce les travailleurs qui ont la conscience de classe la plus élevée en Russie, ceux qui veulent s’opposer à la guerre et aux objectifs de pillage des oligarques russes. Et de fait quand, au Bélarus, des travailleurs ont refusé de transporter des cargaisons d’armes, la BT a dénoncé cette action.
De plus, selon la ligne de la BT, les communistes devraient attaquer Poutine parce qu’il ne consacre pas suffisamment de ressources à l’invasion de l’Ukraine. La BT s’aligne ainsi totalement sur les nationalistes russes qui pensent que l’Ukraine c’est la Russie, ou que l’Ukraine n’existe même pas ! La position de la BT fait complètement écho à cela. Un de leurs arguments clé, que tu as cité, c’est que les « révolutionnaires » reconnaissent (je cite) « que le droit de la Russie à l’autodéfense inclut le droit de couper le lien entre l’Ukraine et l’OTAN ». Donc pour la BT, non seulement la Russie a le « droit » d’envahir son voisin, mais la conquête de l’Ukraine est une cause progressiste ! C’est du chauvinisme grand-russe pur et simple. Cela veut dire éduquer les travailleurs russes dans cet esprit.
Donc, c’est quand on quitte la sphère des abstractions et de la géopolitique et qu’on essaie pour de bon d’appliquer à la réalité vivante la pensée simpliste de la BT qu’on comprend vraiment ses implications complètement réactionnaires. Ce que les travailleurs russes doivent comprendre, c’est précisément que même si une victoire russe infligerait à court terme un coup à la politique des États-Unis, ça ne vaut pas le prix qu’il en coûte – que la Russie devienne l’oppresseur de l’Ukraine !
Asservir l’Ukraine n’aidera en aucune manière à libérer la Russie de l’encerclement impérialiste. Cela ne fera que renforcer l’autorité de Zelensky et de ses maîtres impérialistes, qui peuvent se présenter mensongèrement comme les défenseurs des petites nations. Et plus généralement, cela ne fera qu’attiser le poison nationaliste dans toute la région et ainsi enchaîner davantage encore les travailleurs à leurs exploiteurs, qu’ils soient russes, ukrainiens, polonais, lituaniens ou autres, ce qui créera de nouveaux obstacles à l’unité de la classe ouvrière et à la révolution ouvrière. Au bout du compte, la seule force qui en profitera, ce seront les puissances impérialistes elles-mêmes, qui pourraient utiliser ce déchaînement de réaction pour renforcer leur position dans la région.
Pour porter un coup décisif à l’impérialisme en Europe de l’Est, il faut construire un front révolutionnaire commun des travailleurs ukrainiens et russes contre leur ennemi commun, les impérialistes, et contre leurs classes capitalistes respectives. Si les travailleurs ukrainiens défendent les minorités russes, fraternisent avec les conscrits russes et s’opposent à l’OTAN et aux États-Unis, cela portera un coup bien plus fort aux capitalistes russes que toutes les contre-offensives de Zelensky. Si les travailleurs russes prennent position contre la guerre des oligarques et contre le chauvinisme russe, et cherchent l’unité révolutionnaire avec les travailleurs ukrainiens, cela portera un coup bien plus sévère à l’OTAN et aux impérialistes que toutes les contre-offensives russes.
Voilà la stratégie communiste pour vaincre l’impérialisme, et c’est cela l’orientation que nous suivons. Si on réfléchit de cette manière, il devient évident à quel point la position de la BT est totalement un obstacle à l’unité de la classe ouvrière et à toute perspective révolutionnaire !
Qui défendra la Chine ? Le Kremlin ou la classe ouvrière ?
La BT utilise un autre argument aussi : une victoire russe aiderait à défendre la Chine, les autres États ouvriers déformés et les néocolonies contre l’impérialisme. Je crois que tu as appelé ça une idée élémentaire. En fait j’appellerais ça une révision complète des bases mêmes du trotskysme.
Trotsky nous a appris que la seule manière de défendre les États ouvriers comme la Chine, c’est de lutter pour des révolutions ouvrières pour renverser l’impérialisme, et pour des révolutions politiques pour renverser les bureaucraties staliniennes. C’est la seule manière d’affaiblir l’impérialisme et de renforcer la position du prolétariat au niveau international. Plus la cause de la révolution socialiste internationale avance, mieux la Chine sera protégée. Plus le prolétariat international est faible, plus il est subordonné à ses exploiteurs, plus la Chine est vulnérable. C’est cette simple vérité qui a été répudiée par le stalinisme et la doctrine du « socialisme dans un seul pays ».
Et la position de la BT est du même style. Comme nous l’avons vu, soutenir la Russie divise et affaiblit le prolétariat en Europe de l’Est et au-delà ; cela crée de nouveaux obstacles à la révolution ouvrière. Et la stratégie de la BT pour défendre la Chine est basée non pas sur la mobilisation indépendante des travailleurs chinois contre le stalinisme et l’impérialisme, ni sur la lutte du mouvement ouvrier pour le socialisme au niveau international, mais sur les succès militaires de la bourgeoisie russe en Ukraine. C’est la méthode qui a conduit Staline à faire reposer le sort de la défense de l’URSS sur les dirigeants syndicaux britanniques, sur le Guomindang, et plus tard sur les puissances impérialistes elles-mêmes, avec des résultats désastreux.
En dernière analyse, la méthode de la BT est beaucoup plus proche de celle des avocats du « monde multipolaire » qui vantent les mérites des BRICS, de Xi Jinping et de Poutine comme autant de forces anti-impérialistes. La BT peut toujours dire qu’elle est contre Poutine ou Xi. Mais, tout comme les avocats des BRICS, elle ne considère pas la lutte contre l’impérialisme du point de vue d’une voie prolétarienne indépendante. Et sans cet élément crucial, quelles que soient les critiques qu’on peut faire de Poutine, on finit par devenir un de ses critiques de gauche, de manière typiquement pabliste.
Les travailleurs dans les pays occidentaux : La BT n’a rien à leur proposer
Je voudrais maintenant porter le débat ici : en Grande-Bretagne. Depuis le début de la guerre en Ukraine la direction de la classe ouvrière, du Parti travailliste aux syndicats, joue un rôle clé pour aligner le mouvement ouvrier derrière les intérêts de l’impérialisme britannique. C’est la même chose en Allemagne, en France, aux États-Unis, etc. On ne peut pas parler d’une stratégie marxiste dans la guerre en Ukraine (ni dans toute autre, comme aujourd’hui en Palestine) sans une lutte impitoyable contre les dirigeants pro-impérialistes du mouvement ouvrier – ceux que Lénine appelait les sociaux-chauvins – ainsi que contre les imposteurs pacifistes et la « gauche » qui maintient l’unité avec les sociaux-chauvins – ceux que Lénine appelait les opportunistes ou les centristes.
Et c’est dans ce domaine, davantage encore qu’en Ukraine en tant que telle, que la faillite politique de la BT devient encore plus évidente. Depuis le début de la guerre, la BT n’a pas publié un seul article qui attaquerait les dirigeants de la classe ouvrière en Grande-Bretagne pour leur soutien à l’impérialisme britannique ! La Grande-Bretagne a été secouée l’an dernier par une vague de grèves mais la BT n’a pas écrit un seul article là-dessus. Alors que la tâche urgente des communistes est d’enfoncer un coin entre les aspirations de la classe ouvrière et le programme pro-impérialiste de ses dirigeants, qui a conduit les grèves à la défaite, la BT est restée à l’écart et n’a rien fait !
Regardez au contraire ce que nous avons fait. La déclaration initiale de la LCI sur la guerre en Ukraine attaquait directement tous les dirigeants sociaux-chauvins ainsi que tous les pacifistes. Nos camarades en Allemagne ont été aux premières lignes de la lutte contre les partisans de l’OTAN et de l’UE dans la gauche allemande.
Et ici, malgré notre taille modeste, la SL/B a de toutes ses forces déclaré la guerre aux dirigeants sociaux-chauvins du mouvement ouvrier. Nous avons organisé une manifestation contre la monarchie et contre la décision des dirigeants ouvriers d’annuler les grèves quand la reine a clamsé. Nous avons lancé une campagne pour construire des piquets de grève, contre les dirigeants syndicaux qui les sabotent. Nous sommes intervenus au dernier congrès des syndicats contre les bureaucrates syndicaux qui votaient pour soutenir de nouveaux envois d’armes à l’Ukraine, en dénonçant les sociaux-chauvins et l’opposition pacifiste impuissante de la Stop the War Coalition.
Presque toute la gauche de ce pays soutient et fait campagne pour Sharon Graham, la dirigeante du syndicat Unite ; ils lui font des louanges en la présentant comme une « militante » alors qu’elle soutient indéfectiblement l’impérialisme britannique et les armes pour l’Ukraine. Nous sommes intervenus dans presque tous les groupes trotskystes en dénonçant leur soutien à cette social-chauvine comme une trahison qui fait obstacle à une action ouvrière contre l’impérialisme britannique.
Depuis un an et demi, nous avons écrit plus d’une dizaine d’articles pour montrer que le soutien des dirigeants syndicaux et des travaillistes à l’impérialisme britannique, et en particulier à l’Ukraine (et maintenant à Israël), est précisément ce qui fait obstacle non seulement à des actions ouvrières contre la guerre, mais aussi aux luttes économiques les plus minimales. Et nous avons sans relâche mobilisé nos faibles forces dans les syndicats pour lutter pour une nouvelle direction de la classe ouvrière : une direction qui s’oppose à l’impérialisme et qui organise la lutte quotidienne de notre classe dans le cadre d’une stratégie plus large pour le pouvoir ouvrier.
Donc, camarades de la Bolshevik Tendency : qu’est-ce que vous avez fait depuis deux ans pour faire avancer les luttes ouvrières et anti-impérialistes dans ce pays ? Qu’est-ce que vous avez fait pour faire avancer la tâche la plus cruciale des révolutionnaires – arracher la classe ouvrière à ses dirigeants sociaux-chauvins et pacifistes, et dénoncer leurs conciliateurs centristes ?
Parce que même avec une position prorusse, vous pourriez faire certaines de ces choses. Si la BT, malgré son soutien à la Russie, luttait sans merci contre les Sharon Graham, les Dave Ward et les Mick Lynch, et pour un pôle anti-impérialiste dans le mouvement ouvrier, nous aurions déjà eu plusieurs fronts uniques avec vous et nous aurions aujourd’hui une conversation très différente.
Mais la réalité, c’est que vous n’avez rien fait de tout cela. Et de ce fait vous n’êtes pas si différents que ça de tous les autres groupes dans ce pays qui se disent pour le communisme, contre l’OTAN, contre l’impérialisme, qu’ils soient pour ou contre l’Ukraine, mais qui tous sont d’accord sur une chose : l’unité avec les dirigeants sociaux-chauvins et pro-impérialistes de la classe ouvrière ! Mener une guerre contre ce genre d’unité est le devoir le plus impérieux pour les révolutionnaires. C’est ce que Lénine a martelé pendant toute la Première Guerre mondiale. Vous dites que la guerre en Ukraine est un test décisif pour les trotskystes ? C’est ça le test décisif ! C’est ce que fait la Spartacist League, et c’est ce que la BT refuse de faire.
Et l’autre réalité, pour revenir au point de départ, c’est que votre position pour une victoire de la Russie sape complètement cette lutte, même si vous vouliez l’engager. Pour la simple raison que votre position signifie soutenir l’asservissement de l’Ukraine par la classe dirigeante russe. Et tout ouvrier ayant une conscience de classe et voulant lutter contre l’impérialisme britannique comprend aussi que la guerre de la Russie n’est pas progressiste et il ne veut rien avoir à faire avec ça, et à juste titre. C’est l’autre manière dont votre position divise la classe ouvrière internationale.
Le marxisme, un guide pour l’action
Pour terminer, et je vais conclure là-dessus, la BT capitule devant le nationalisme russe, mais je ne pense pas que c’est ça votre motivation pour soutenir la Russie. Je crois que vous êtes arrivés à cette position erronée à cause d’une méthode erronée. Parce que le marxisme n’est pas pour vous un guide pour la lutte révolutionnaire du prolétariat mais une doctrine stérile et abstraite, ou des formules et de la géopolitique.
Je n’essaie pas d’être démagogique ici. C’est la vérité. Votre organisation a scissionné d’avec l’IBT avant la guerre en Ukraine sur une question purement analytique : si la Russie est impérialiste, comme le pense l’IBT, alors que la BT pense le contraire. Vous avez montré à la face du monde que pour vous, la condition pour l’unité ou la scission dans le mouvement communiste était l’accord sur une description analytique, et pas sur ce pour quoi on se bat, sur ce qu’il faut faire.
Et vos articles sur la guerre en Ukraine suivent cette méthode. Ils consistent en une succession de citations de multiples sources géopolitiques ou groupes socialistes, où vous commentez leurs analyses et ensuite notez leur refus de se ranger du côté de la Russie. Pour vous, c’est l’analyse qui est décisive et qui génère le programme. Mais pour les marxistes, c’est le programme, c’est-à-dire ce pour quoi on se bat et comment on se bat qui détermine l’analyse. Et de fait, dans tous vos articles, vous n’argumentez jamais pourquoi et comment votre position fait avancer la lutte de la classe ouvrière pour son émancipation. Mais vous voyez, camarades, c’est là tout l’objectif du marxisme. Offrir une voie indépendante pour la lutte du prolétariat.
Et aujourd’hui, une nouvelle guerre fait rage en Palestine. Et on peut parler de 1948. Mais voilà la question : vous n’avez même pas écrit quoi que ce soit sur la guerre actuelle ! Au lieu de ça, vous avez posté quelques photos de vous dans des manifestations, avec des mots d’ordre corrects en soi mais complètement acceptables pour tout libéral de gauche, nationaliste palestinien ou social-démocrate qui dirige ces manifestations ou qui y participe. Ce n’est pas sérieux. Il faut guider la lutte contre les illusions du présent. « À bas la terreur sioniste » ne combat rien du tout dans ces manifestations.
Le marxisme est un guide pour l’action. Pas pour des cercles de lecteurs qui comparent leurs analyses. Et vous remarquerez que dans toute ma présentation, c’est sur cette base que j’ai mis à nu votre position dans cette guerre. À savoir qu’elle capitule devant les différents dirigeants traîtres de la classe ouvrière, les nationalistes ukrainiens ou russes, les sociaux-chauvins et les pacifistes travaillistes, et qu’elle est par conséquent un obstacle à faire avancer les luttes de la classe ouvrière contre l’impérialisme mondial.